Analyses

Publié le : 04/10/2020

RENCONTRE EXCLUSIVE AVEC MANKEUR NDIAYE, CHEF DE LA MINUSCA

Nommé depuis février 2019 à la tête de la mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la Centrafrique (MINUSCA), créée par la Résolution 2149, Mankeur Ndiaye a accordé à MGH Partners un entretien exclusif, à quelques semaines d’un scrutin à forts enjeux.

MGH Partners : La MINUSCA est l’une des missions de maintien de la paix les plus suivies à l’échelle régionale et continentale. Pouvez-vous nous rappeler brièvement la raison d’être de votre mission onusienne ?

M. Ndiaye : D’abord j’aimerai vous rappeler pourquoi c’est en effet une mission de l’ONU extrêmement importante en Afrique. En 2014 la République centrafricaine (RCA) était plongée dans une crise d’une extrême gravité caractérisée par de multiples violations du droit international humanitaire et des violations généralisées des droits de l’Homme, notamment les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, les arrestations et détentions arbitraires, les actes de torture, les viols et violences sexuelles visant particulièrement les femmes et les enfants, le recrutement et l’emploi d’enfants-soldats, les attaques contre les populations civiles de toutes confessions et les obstacles à la distribution de l’aide humanitaire, commises par d’anciens éléments de coalition dite de la Séléka, à prédominance musulmane, et des milices d’obédience chrétienne en particulier les « antibalaka ».

Le 15 septembre 2014, la MINUSCA assumait les responsabilités auparavant dévolues à la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA). Agissant sous le chapitre 7, utilisant tous les moyens nécessaires pour accomplir son mandat et bénéficiant de l’appui de l’opération militaire française Sangaris ainsi que l’engagement politique des pays de la sous-région, la MINUSCA est parvenue à ramener la RCA sur la voie de la stabilité et à organiser des élections crédibles.

Je suis arrivé à Bangui le 4 mars 2019 après ma nomination par le Secrétaire général des Nations unies, le 6 février 2019 jour de la signature de l’Accord politique pour la paix et réconciliation en RCA. La Mission dispose d’une force 11.370 militaires, 2080 policiers et gendarmes, et 1425 civils, et est dotée d’un budget de 937 millions de dollars américains pour la réalisation des énormes responsabilités qui lui ont été assignées par le Conseil de sécurité des Nations unies. La résolution 2499 du 15 novembre 2019 émises par le Conseil de sécurité, est sans ambiguïtés : ses tâches portent sur la protection des civils, les bons offices et l’appui au processus de paix, y compris la mise en œuvre de l’APPR, le soutien technique, logistique et sécuritaire du cycle électoral de 2020 et 2021, l’aide à la mise en place de conditions de sureté favorables à l’acheminement immédiat et sans entrave de l’aide humanitaire, l’appui à l’extension de l’autorité de l’Etat, au déploiement des forces de défense et de sécurité, la Réforme du secteur de la sécurité, le Désarmement, démobilisation, réintégration et rapatriement, la promotion et protection des droits de I’Homme, ainsi que l’action en faveur de la justice nationale et internationale, de la lutte contre l’impunité, et pour le rétablissement de I’Etat de droit.

Hamza Hraoui en compagnie de Mankeur Ndiaye à Rabat.

MGH Partners : Depuis votre nomination en février 2019 par M. António Guterres à la tête de la MINUSCA vous avez rappelé que le but ultime de la mission vise la pacification du pays et la tenue d’élections libres et transparentes. Est-ce que vos interlocuteurs à Bangui entendent ce message et coopèrent pour y arriver ?

M. Ndiaye : Je le pense. Nous savons tous que l’avènement de la paix reste la principale préoccupation des Centrafricains, et la MINUSCA tout comme l’ensemble de la communauté internationale soutiennent les efforts des autorités nationales afin d’y parvenir. Grâce à la politique de main tendue du Président Faustin Archange Touadéra et l’appui de l’Union africaine, de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale et des Nations Unies, le gouvernement centrafricain et 14 groupes armés ont pris part à des pourparlers à Khartoum avant de signer un Accord de paix à Bangui, le 6 février 2019.

L’Etat reprend ses droits.

Concernant la dimension électorale, je rappelle ici que la MINUSCA s’est dotée d’un mandat d’appui aux autorités centrafricaines pour préparer et organiser des élections présidentielle, législative et locale crédibles, transparentes et pacifiques en 2020 et 2021, en leur offrant ses bons offices, en leur fournissant un appui en matière sécuritaire, logistique et technique, et en coordonnant l’assistance électorale internationale.

Est-ce que les interlocuteurs coopèrent pour y parvenir ? Concernant l’Accord de paix, sa mise en œuvre a permis une réduction du niveau de violence, des progrès dans le désarmement et la démobilisation (1321 ex-combattants provenant de 9 des 14 groupes armés signataires dans l’ouest et 773 combattants appartenant à six groupes armés à Ndélé, Bria et Kaga-Bandoro) ainsi qu’une avancée dans la restauration de l’autorité de l’Etat qui avait presque disparu de certaines préfectures du nord et de l’est du pays. A ce jour, quelque 1464 éléments de la police, 2164 gendarmes et 2035 militaires des forces armées centrafricaines ont été redéployés alors que 15 des 16 préfets et 62 des 71 sous-préfets sont en poste, auxquels s’ajoutent des fonctionnaires de l’administration territoriale, judiciaire et pénitentiaire, dans des préfectures où ils étaient absents depuis plusieurs années.

J’ai d’ailleurs entamé depuis plusieurs semaines une série de rencontres dans le cadre de mes bons offices avec les acteurs politiques de la mouvance présidentielle, de l’opposition, de la société civile et d’autres secteurs concernés par les élections de 2020 en vue d’un processus électoral apaisé. J’y tiens.

Je déplore néanmoins la réticence de certains groupes armés dont le 3R (Retour, Réclamation, Réhabilitation) et l’UPC (Mouvement pour l’Unité de la Centrafrique) qui ne respectent pas leurs engagements et continuent à commettre de nombreuses violations notamment des attaques contre les civils, des activités de prédation économique, et l’occupation de nouveaux territoires à des fins de maximisation de leurs sources de revenus.

MGH Partners : Comment allez-vous convaincre les groupes armés qui tiennent encore de larges territoires en Centrafrique de rendre les armes et d’intégrer le jeu politique ?

M. Ndiaye : Comme je vous l’ai dit, l’APPR a mis en place des mécanismes de suivi, notamment un Comité exécutif de Suivi (CES), co-présidé par le Gouvernement et l’Union africaine, et composé des signataires, des garants, des facilitateurs et des forces vives centrafricaines, un Comité de Mise en Œuvre Nationale et des Comités de Mise en Œuvre Préfectoraux. C’est au sein de ces enceintes que la mise en œuvre de l’Accord de paix est discutée et traitée.

L’Accord de paix a également prévu dans son article 35 un mécanisme de règlement des litiges et de sanctions éventuelles qui stipule que « les Parties sont conscientes que toute violation est susceptible d’exposer les auteurs à des sanctions internationales, notamment dans le cadre des dispositions pertinentes des décisions du Conseil de Paix et Sécurité de l’Union africaine et des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, et dans le cadre de leurs régimes de sanctions respectifs ». C’est dans ce cadre qu’Abdoulaye Miskine, président et commandant en chef du Front démocratique du peuple centrafricain (FDPC), et Sidiki Abass, chef du 3R, ont été placés sur la liste des sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies, tous deux pour des actes contraires à l’Accord de paix et allant à l’encontre de la paix, la stabilité et la sécurité en Centrafrique.

Tout en jouant pleinement son rôle de facilitateur, la MINUSCA a dû à certaines occasions recourir à la force contre des groupes conformément à son mandat de protection des civils et des institutions nationales. Actuellement, nos casques bleus mènent une opération militaire conjointe avec les Forces Armées Centrafricaines depuis le 17 juin 2020 pour stopper les violences commises par le 3R, qui ont pour objectif de perturber le bon déroulé des opérations électorales dans le nord-ouest du pays.

MGH Partners : Le scrutin du 27 décembre 2020 cristallise tous les enjeux centrafricains, comment la MINUSCA compte accompagner le processus de transition politique ?

M. Ndiaye : Sur le plan logistique et opérationnel et en étroite concertation avec la partie nationale qui demeure souveraine et première responsable de la bonne tenue de ces élections, l’intervention de la MINUSCA en appui à l’Autorité nationale des Élections a permis la mise en place des bureaux locaux, l’élaboration de la cartographie électorale et le déploiement du matériel et des agents pour l’enregistrement des électeurs vers les 16 préfectures et les Centrafricains de l’étranger. Nos moyens aériens ont permis de transporter près de 120 tonnes de matériel vers les préfectures et plus de 400 agents recenseurs vers et au départ de 5 préfectures difficiles d’accès, surtout en cette saison des pluies.

Notre force de casques bleus et de Police travaillent avec les FACA et les forces de sécurité intérieure dans le cadre du plan de sécurisation intégrée des élections, pour s’assurer que le processus se déroule sans incidents, notamment sans action prédatrice des groupes armés. Si à ce jour 3487 sur 3608 centres d’enregistrement des électeurs ont clôturé leurs activités, le processus a été perturbé par le 3R dans une centaine de centres dans le nord-ouest du pays. Nous avons décidé de répondre à cette menace pour soutenir l’enregistrement du maximum d’électeurs dans cette région qui est l’une des plus densément peuplées du pays.

Encore une fois, je veillerai personnellement à travailler en étroite coordination avec les membres acteurs et partenaires de la RCA, pour l’organisation de ces élections libres, transparentes et crédibles, et cela dans le strict respect du calendrier électoral et des dispositions nationales constitutionnelles qui s’imposent à tous les acteurs, sans exception.

Vous pourriez également être intéressé.e par ces articles :

François Gemenne : Si on veut enclencher une transition de plus grande ampleur, il faut parler à nos intérêts

Lire la suite