Omar Hilale

Analyses

Publié le : 07/10/2020

Entretien inédit avec Omar Hilale.

Diplomate de carrière, Ambassadeur et Représentant permanent du Royaume du Maroc auprès de l’ONU, Omar Hilale fait partie de ces diplomates Marocains qui ont la parole rare mais dont l’efficacité, la parfaite maitrise des dossiers et la finesse font l’unanimité dans les couloirs des Nations Unies et au sein des institutions multilatérales. Omar Hilale a accordé à MGH Partners un moment unique pour nous parler de sa vision du triptyque : Défi sanitaire, énergie, nouvelle économie.

MGH Partners : Dans une note que vous avez récemment publiée, vous avez très fortement lié la crise pandémique que nous vivons aux enjeux de la transition énergétique. Pourquoi selon vous il faut saisir ce moment ?

Omar Hilale : Je crois sincèrement que la crise COVID-19 est en train d’ouvrir des opportunités en matière de transition énergétique tant pour les pays développés que ceux en développement. La raison réside dans les mutations du marché international de l’énergie, depuis le début de la crise pandémique. 

Ce qu’il faut savoir c’est que la guerre des prix entre les pays de l’OPEP au début de la crise COVID, a non seulement provoqué une forte chute du cours du pétrole qui a atteint moins de 37,63 dollars le baril, mais elle a provoqué l’effet inverse. Ensuite, lorsque la pandémie a touché un très grand nombre de pays, notamment à travers le monde , l’arrêt d’une grande partie de l’ activité économique mondiale a conduit à une chute de la demande d’énergie voire même à un défi relatif au stockage de l’excédent du pétrole invendu. Cet effondrement va logiquement réduire la capacité de l’industrie pétrolière à gérer sa production future.

De ce fait, la crise actuelle révèle l’importance de mettre fin à la dépendance aux énergies fossiles et de diversifier l’approvisionnement en sources d’énergie comme c’est le cas du Maroc. Sous les hautes instructions de S.M. le Roi Mohammed VI, le Maroc a révisé à la hausse ses ambitions initialement projetées en matière d’énergies renouvelables et a décidé de porter à 42% la part des énergies propres dans le mix électrique d’ici à 2021. Une part qui devra s’élever à 52% d’ici l’horizon 2030.

Durant la conjoncture actuelle caractérisée par le ralentissement économique dans certains pays et le début de la récession dans d’autres, les économies mondiales doivent saisir cette occasion en capitalisant sur des taux d’intérêt bas, afin de stimuler l’innovation dans les technologies des énergies renouvelables, et profiter de la chute du prix du pétrole pour réduire les subventions à la consommation de combustibles fossiles. On voit bien que la transition énergétique devient indispensable à la fois au développement humain et à la relance économique post COVID.

 »En réalité, l’estimation des 100 milliards de dollars pour financer la transition verte est déjà dépassée. »

MGH Partners : Les 100 milliards promis aux Accords de Paris restent introuvables. Est-ce que justement les investissements massifs engagés par les États pour enrayer les effets de la crise sanitaire, ne relègueront pas l’énergie verte au second plan ? Quelles sont les opportunités économiques que vous identifiez dans la transition écologique en général, et qui peuvent être audibles pour les États en difficulté ?

Omar Hilale : En réalité, l’estimation des 100 milliards de dollars pour financer la transition verte est déjà dépassée. La réduction de la part des combustibles fossiles et l’extension des énergies renouvelables nécessite d’énormes investissements estimés à plus de 120.000 milliards de dollars dans l’ensemble du mix énergétique d’ici à 2050. Pourtant, la transition vers une énergie plus verte et des systèmes plus efficaces est moins un choix qu’une urgence pour les investisseurs et les gouvernements.

Certes, la transition énergétique est porteuse de défis. La relance économique et les considérations sanitaires priment systématiquement sur les impératifs écologiques dans le contexte de la crise actuelle. Cependant, les sources renouvelables, qui représentent actuellement 5% des sources énergétiques mondiales, sont appelées à enregistrer une croissance exponentielle durant la prochaine décennie. D’ou l’importance d’appréhender l’opportunité économique de la transition écologique dans une approche globale : investissement, compétitivité, diversification des sources énergétiques et création d’une nouvelle génération d’emplois verts durant la prochaine décennie.

Cette décision renforce l’accord de Paris sur le climat et illutre comment les puissances émergentes modernisent leur appareil productif, tout en réduisant leur dépendance au charbon et aux hydrocarbures.

Même la Chine, plus gros pollueur au monde, a acceleré sa transition énergétique et s’est fixé mardi dernier, pour la première fois, un objectif de neutralité carbone à l’horizon 2060

Désormais plusieurs pays africains évoquent, devant les Nations Unies, leur potentiel important d’énergie renouvelable et s’inscrivent dans des coalitions pour bénéficier de la coopération multilatérale dans ce domaine.  Le secteur des énergies renouvelables est également un levier d’emploi des jeunes dans les économies émergentes. Les technologies solaires et éoliennes se sont grandement améliorées au fil des années, si bien qu’elles représentent aujourd’hui une belle opportunité pour répondre aux besoins quotidiens des ménages à moindre coût, tout en luttant contre le réchauffement climatique.

Enfin, nous ne devons pas oublier qu’en 2015, 196 pays réunis à Paris lors de la COP21, ont affirmé à l’unisson que le changement climatique menaçait l’avenir de l’humanité et qu’il était urgent d’agir. En 2016, le Maroc a organisé la COP22, dédiée à l’action surtout pour le continent Africain et les pays les moins avancés qui regorgent de nouveaux potentiels énergétiques. En 2019, le Sommet de haut niveau pour l’Action Climat qui a eu lieu à l’ONU a placé la transition énergétique au cœur de ses ambitions. Cependant force est de constater que la crise pandémique a, hélas, chamboulé les priorités nationales des pays, ce qui a négativement impacté leurs engagements internationaux.

Omar Hilale au Siège des Nations Unies à New York.

MGH Partners : La baisse marquée des cours du pétrole durant le premier semestre 2020 soulève des inquiétudes sur l’accélération de la transition énergétique en Afrique. De plus en plus de voix s’élèvent pour dire que la compétitivité et la rentabilité des investissements verts ne seraient plus assurées à l’ère du pétrole bon marché, que les investissements dans ces infrastructures engendreraient une rigidité des prix sur de longues périodes empêchant toute flexibilité en situation de crise et que, dès lors, les solutions thermiques resteraient les mieux adaptées aux besoins du continent. Que répondez-vous à cela ?

Omar Hilale : La production énergétique dans la majorité des pays africains est basée sur les grandes centrales hydrauliques ou sur les énergies fossiles. Face à une demande toujours croissante, le déploiement des énergies renouvelables est avant tout une opportunité pour diversifier les sources de production d’électricité tout en permettant au système de maintenir sa faible empreinte carbone.

Cette diversification permet aussi de réduire la vulnérabilité des pays, notamment en Afrique , aux cycles hydrologiques qui changent, surtout les périodes de longues sécheresses qui sont de plus en plus fréquentes dans notre continent.

Avancer que la compétitivité et la rentabilité des investissements verts ne seraient plus assurées à l’ère du pétrole bon marché est un leurre. Au contraire, quand l’approvisionnement en énergie est fortement dépendant des hydrocarbures importés, les pays ont un fort intérêt à diversifier leurs sources en développant des alternatives nationales souveraines ou une production énergétiques de proximité.

Afin de marquer l’importance que revêt la transition énergétique en Afrique, M. António Guterres, a désigné une Nigérienne comme sa Représentante spéciale pour l’énergie durable. C’est un signal fort ! Qui dit en substance que le future de notre continent réside dans sa capacité à promouvoir l’accès des pays d’Afrique sub-saharienne à l’énergie durable.

Il est clair qu’aujourd’hui l’attention internationale est focalisée sur la reprise économique, mais il ne faut pas omettre l’écologie qui est devenue un marqueur du clivage politique dans l’échiquier international. Les pays doivent à la fois lutter contre le réchauffement climatique et assurer le droit à l’énergie pour tous, et à une énergie propre.

 »La coalition énergétique maroco-ethiopienne lancée en 2019 lors du Sommet d’Action pour le Climat à New York constitue un bel exemple de solidarité et de coopération à dupliquer dans  notre continent. »

MGH Partners : Les énergies du futur devront être vertes, résiliantes et abordables, en Afrique plus qu’ailleurs. Concrètement, comment les États africains à fort potentiel, pourront tirer leur épingle du jeu ? Quelles réformes devront-ils faire et quel discours tenir auprès des institutions multilatérales ?

Omar Hilale : Désormais, le discours à tenir auprès des institutions multilatérales devrait être celui du courage. L’année 2020 ainsi que 2021 seront celles des sacrifices de la part de tous afin que nos pays survivent aux lourdes conséquences des crises sanitaires, écologiques et économiques.

Dorénavant, les solutions solaires deviendront plus compétitives et dépendront de moins en moins des subventions pour leur déploiement. Le nombre d’emplois verts est appelé à se renforcer en corrélation avec la démocratisation des énergies renouvelables, notamment les systèmes solaires photovoltaïques dans le monde rural et chez les populations à revenu faible. D’autant que bon nombre de pays en développement, dont le Maroc, maitrisent de plus en plus les technologies de ces nouvelles énergies.

C’est pourquoi et afin d’optimiser cette perspective, les Etats africains, surtout les moins développés, devront investir en amont dans un système éducatif prônant le développement durable. Ces pays disposeront ainsi de ressources humaines capables d’évoluer sur les secteurs d’avenir tels que l’agriculture durable, les nouveaux modes de production et de consommation, l’économie bleue et les énergies propres. Les États du continent à fort potentiel devraient s’attaquer sans tarder aux obstacles empêchant la transformation de leur potentiel énergétiques en projets tangibles, en renforçant les incitations offertes par les cadres législatifs nationaux et en accélérant leurs efforts de la coopération Sud-Sud en matière de transition énergétique. La coalition énergétique maroco-ethiopienne lancée en 2019 lors du Sommet d’Action pour le Climat à New York constitue en ce sens un bel exemple de solidarité et de coopération à dupliquer dans notre continent.


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