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Publié le : 18/05/2021
Philippe Zaouati : On accorde trop d’importance à la dette.
Financier, écrivain, dirigeant de Mirova, un fonds dédié à l’économie verte, Philippe Zaouati fait partie de ces leaders du monde des affaires qui veulent contribuer au débat public et déployer la raison d’être de leurs organisations. Philippe Zaouati a contribué à la rédaction du programme présidentiel d’Emmanuel Macron sur l’environnement, avant d’être le référent de La République en Marche à Paris entre 2017 et 2018. Il est aussi le co-fondateur du think tank Osons le Progrès. Philippe Zaouati est également l’auteur de plusieurs romans, dont « Les refus de Grigori Perelman » et « Applaudissez-moi ! ». Il a accepté de répondre aux questions de la Newsroom en marge du Sommet sur les Economies africaines qui a réuni plusieurs chefs d’Etats et organisations internationales ce 18 mai à Paris. Philippe Zaouati revient notamment sur les fondements du multilatéralisme de demain.
Paris organise un sommet tant attendu sur la relance des économies africaines. Il s’agit de rendre soutenable la dette africaine qui risque de s’envoler à cause des répercussions post Covid-19. Quels sont selon vous les écueils à éviter pour que les économies africaines ne retombent pas dans la spirale infernale de l’endettement dont le taux moyen est aujourd’hui de 68% ?
La question de la dette est importante, mais je crois que le chiffre de 68% n’a pas de signification en soi, pas plus que la limite de 60% des critères de Maastricht ou les 120% du PIB que va atteindre la dette de la France post-Covid. La dette est un outil de financement, on y accorde parfois trop d’importance. Je voudrais souligner le travail réalisé par une jeune association que je trouve formidable, Je m’engage pour l’Afrique, lancée par Ileana Santos et Amina Zakhnouf, qui a travaillé sur ce sujet. Je partage tout à fait leur diagnostic. Elles nous disent la chose suivante : « Pour nous, la question n’est pas tant autour de la dette, mais de ce qu’on en fait. » C’est une évidence, et c’est le même constat que certains ont fait pour la dette des pays développés après la crise sanitaire. Faut-il annuler les dettes ? Les rendre perpétuelles ? Les monétiser ? Ces questions sont intéressantes, mais occultent parfois la vraie question qui est « pour quoi faire ? » La dette permet-elle de créer des richesses ? D’investir dans des infrastructures durables et résilientes ? De soutenir la création d’entreprises ? Voilà les bonnes questions. Ensuite, il y a évidemment des questions techniques, sur les modalités d’endettement, la pression des prêteurs, les taux d’intérêts, la perception du risque …
» Il est indispensable de simplifier, de fluidifier les processus des financements publics. »
Philippe Zaouati
Un axe diplomatique euro-africain renforcé est l’avenir de deux continents. Quels nouveaux mécanismes pouvons-nous explorer, notamment en matière de financement public et privé, pour renforcer cette coopération ?
Je suis un promoteur depuis longtemps des partenariats entre public et privé. Ni les Etats, ni le secteur privé ne peuvent résoudre seuls tous les problèmes. C’est vrai dans les pays développés, notamment pour le financement de la transition écologique et des innovations disruptives, c’est encore plus vrai pour le financement du développement. La perception des risques reste trop élevée – et je parle bien de perception, parce que je crois que le risque réel est inférieur à ce sentiment des marchés. Les grands investisseurs privés, compagnies d’assurance et fonds de pension, restent trop timorés quand il s’agit d’investir dans les pays émergents, et notamment en Afrique. Or, il y a un sous-investissement massif à combler. Une combinaison intelligente de la finance publique et de la finance privée peut permettre de relever ce défi. En dé-risquant certains projets, en apportant des garanties, en couvrant certains risques spécifiques, les acteurs publics peuvent attirer des investisseurs privés. C’est ce que nous avons fait chez Mirova en investissant dans le capital naturel à travers des fonds combinant argent public et argent privé. Mais il faut aller beaucoup plus vite et beaucoup plus loin. Cette finance mixte reste complexe à mettre en oeuvre. L’obtention de fonds publics implique souvent des mois, voire des années d’un processus complexe. Il est indispensable de simplifier, de fluidifier ces processus. Cela passe aussi par une refonte de la méthode d’intervention des banques de développement et de l’aide au développement. Les financements innovants sont trop souvent exclus du calcul de l’aide publique au développement alors que nous savons que c’est un outil efficace.
Durant toutes ces grandes messes multilatérales, les sociétés civiles et le secteur privé sont souvent mis de côté. Penser les politiques publiques africaines, notamment en matière environnementale, n’implique-t-il pas d’impliquer de nouveaux acteurs non étatiques, notamment dans les schémas de gouvernance ?
Il me semble toutefois que c’est de moins en moins vrai pour ce qui concerne les entreprises. Le tournant a été la COP21 à Paris où le secteur privé a été non seulement bien représenté, mais décisif dans les décisions prises. Cette tendance se poursuit, peut-être même de façon excessive quelquefois, avec des acteurs privés qui viennent dans ces sommets pour faire du lobbying ou pour vendre leurs solutions. La société civile est sans doute insuffisamment représentée, en dehors des grandes ONG. En particulier concernant l’Afrique, il faudrait aussi donner beaucoup plus de place aux acteurs des territoires, que ce soit les collectivités territoriales ou les communautés.
Le multilatéralisme qui dessinera ‘’le monde d’après’’ sera écologique et numérique ou ne sera pas. Quelles recommandations donneriez-vous aux organisations des deux rives pour qu’elles tirent pleinement profit de ce que l’on pourrait qualifier d’acte III de la mondialisation ?
Ce qui change avec la crise sanitaire, c’est que nous n’avons plus une rive Nord de la Méditerranée stable et sûre de son modèle et une rive Sud en proie au doute et à la recherche de son développement. Nous sommes désormais des deux côtés face à un monde nouveau à inventer. Certes, les grands discours sur « le monde d’après » que l’on a vu fleurir pendant le printemps 2020 et le premier confinement ont disparu ou sont passés au second plan. Pour autant, prenons l’exemple de l’enjeu des re-localisations industrielles, qui est sujet sensible au Nord, il fait écho évidemment à un nécessaire développement au Sud. La proximité des continents européens et africains constitue ainsi une opportunité majeure à saisir. On peut avoir un raisonnement similaire pour l’agriculture. La transition écologique est un atout dans ce contexte, parce qu’elle nous guide naturellement vers des échanges plus raisonnables, un développement plus harmonieux et nous éloigne des schémas post-coloniaux.