Analyses

Publié le : 22/09/2021

Hélène Le Gal : Les relations entre la France et le Maroc sont uniques.

Hélène Le Gal fait partie de ces femmes diplomates qui sont passionnées par leur métier. Diplômée de Sciences Po Paris, première femme conseillère Afrique de l’Elysée, sous François Hollande, Ambassadrice de France à Tel Aviv, entre 2016 et 2019, sa nomination au Maroc en septembre 2019 était un événement dans l’écosystème diplomatique du très stratégique axe Rabat – Paris. Arrivée d’un pays avec lequel le Maroc n’entretenait pas à l’époque, de relations diplomatiques officielles, l’ambassadrice devait trouver rapidement ses marques. 4 années se sont écoulées depuis cette nomination et le navire diplomatique français du Maroc garde le cap : échanges culturelles accrues, une gestion que l’on pourrait qualifié de magistrale du rapatriement de Français et de résidents en France pendant la première vague du Covid-19… Seul déception à peine voilée, est la non organisation de la visite d’Etat d’Emmanuel Macron à Rabat, longtemps attendue. Cette visite, censée couronner une relation d’exception, a été repoussée de nombreuses fois à cause de la crise sanitaire.

Hélène Le Gal a intégré le ministère des Affaires étrangères en 1988, et est immédiatement envoyée sur le terrain en Afrique, en étant nommée deuxième secrétaire à l’ambassade de France au Burkina Faso. Elle rejoint ensuite Paris en 1990, pour être affectée à la Direction des affaires africaines. Elle suit les dossiers relatifs à la Corne de l’Afrique, à une époque où cette région est en crise (chute de Menguistu et de Siad Bare). Elle participe notamment aux opérations humanitaires engagées par la France à cette époque sous l’égide du ministre de la Santé et de l’Action humanitaire Bernard Kouchner. Après les dossiers de crise, elle complète son approche du continent africain par les questions de développement, en rejoignant en 1992 la Direction des affaires économiques, où elle gère les dossiers relatifs aux questions d’endettement international (Club de Paris) et aux banques de développement.

Hélène Le Gal a accepté de répondre en exclusivité aux questions de la Newsroom, pour sa première prise de parole de la rentrée.

Vous êtes à la tête de l’ambassade du premier partenaire européen du Maroc, quel regard portez-vous sur ces relations qu’on a toujours qualifiées ‘’d’exceptionnelles’’ et à quand une visite d’État du Président Macron pour les dynamiser ?

Cette solidité de nos liens nous permet de traiter de dossiers sensibles et urgents. Pour la France, le rôle du Maroc, notamment dans la gestion des flux migratoires et dans la lutte contre le terrorisme, est essentiel. L’investissement du pays dans la sécurisation des frontières maritimes et terrestres est considérable et c’est un véritable atout que de pouvoir compter sur la fiabilité et l’efficacité d’un pays ami sur ces plans. Nous savons que la coopération franco-marocaine fonctionne et qu’elle a déjà fait ses preuves à de nombreuses occasions.

Sur le plan économique, la France est le premier pays investisseur en flux et en stock au Maroc. La coopération entre la France et le Maroc s’est par ailleurs illustrée à travers de grands projets, comme le lancement de la première Ligne Grande Vitesse d’Afrique reliant Casablanca à Tanger, fruit d’une collaboration réussie entre l’ONCF et la SNCF. Dernièrement, les entreprises françaises ont été très actives dans des projets aussi innovants que les tramways de Casablanca et Rabat ou sur le chantier du port de TangerMed. On remarque aujourd’hui que les investisseurs français sont particulièrement présents, notamment dans les écosystèmes aéronautiques et l’industrie automobile, qui, pour rappel, représentent près de 30% du commerce extérieur du Maroc. Le Nouveau Modèle de Développement, souhaité par Sa Majesté le Roi, peut contribuer à inciter les investisseurs français à aller plus loin dans leurs partenariats avec le Maroc. Ce sera un des défis majeurs de la prochaine décennie.

Les relations entre la France et le Maroc sont uniques. Nos deux pays ont construit ensemble un partenariat englobant tous les secteurs d’activité, économique, militaire, politique ou culturel.

Enfin, la France est fière d’accueillir une  communauté étudiante marocaine de 43 000 personnes, un chiffre revu à la hausse tous les ans et qui représente 85% des étudiants marocains à l’étranger. Réciproquement, sur le sol marocain, le réseau scolaire français compte 45 écoles et notre réseau culturel compte 13 instituts et une alliance. Sans oublier les campus de sept universités et grandes écoles françaises du Maroc et les nombreux partenariats qui existent entre les universités françaises et marocaines. C’est dire si notre partenariat en matière éducative et scientifique est dynamique.

Evidemment, comme pour toute relation bilatérale, la visite d’Etat représente le point culminant des échanges diplomatiques. Nous gardons toujours cette perspective à l’esprit mais le contexte de la pandémie rend les choses plus difficiles en ce moment. Pour autant, il ne faut pas perdre de vue que, si ces visites officialisent notre amitié, l’entente entre nos deux pays relève d’une coopération du quotidien et se construit grâce au travail continu de multiples acteurs marocains et français sur place. De ce côté-là, le dynamisme des relations entre nos deux pays n’a jamais faibli et les projets communs sont toujours plus nombreux.

 »L’Afrique sera au cœur de notre présidence du Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2022.  »

Helène Le Gal

La France va présider le 1er janvier prochain, le Conseil de l’Union européenne et ce pour 6 mois, c’est un évènement en Europe tant elle manque de leadership face à la dualité sino américaine. Que peut attendre un pays africain comme le Maroc, ou plus généralement le sud de la Méditerranée de ce mandat français sur le plan économique et politique ?  

Aujourd’hui, l’Europe comme la France sont en train de construire une relation nouvelle avec l’Afrique. Avec chacun de ses pays comme avec l’ensemble du continent, la France souhaite dorénavant élaborer ensemble des partenariats durables, stratégiques et équilibrés. En 2017, le discours du président Emmanuel Macron à Ouagadougou avait été l’occasion de formuler les enjeux multidimensionnels de cette transformation radicale : politique, culture, sécurité, innovation, économie, sport… chaque facette de notre avenir commun avait été envisagée.

 »Nous souhaitons également que la présidence française de l’UE permette le lancement d’initiatives européennes ciblées avec l’Afrique »

Hélène Le Gal

Il s’agit maintenant de se concerter pour mener à bien ces ambitions, et c’est dans cette dynamique de redéfinition de nos rapports que se déroulera, à Montpellier, le Nouveau Sommet Afrique-France le 8 octobre prochain, en présence de nombreux acteurs africains et français. L’idée est avant tout d’offrir un regard neuf sur les liens qui existent entre la France et les pays du continent, et de dessiner les contours de ceux qui appellent à être tissés.

L’Afrique sera au cœur de notre présidence du Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2022. Cette priorité africaine de notre présidence de l’UE doit être l’occasion de donner une nouvelle impulsion à la relation entre nos deux continents pour la rendre plus politique, fondée sur la réciprocité, et reconnue de part et d’autre comme stratégique. L’UE s’est mobilisée massivement pour soutenir l’Afrique pendant la pandémie de Covid et poursuit ses efforts, sous l’impulsion notamment de la France, à la fois sur le plan sanitaire et sur le plan économique. Cela dans un intérêt mutuel car nos deux continents sont voisins et leurs destins sont liés. Nous souhaitons également que la présidence française de l’UE permette le lancement d’initiatives européennes ciblées avec l’Afrique, sur des enjeux majeurs tels que l’agriculture, les infrastructures de transport et de connectivité, les questions de formation et de numérique. Il y a une fenêtre d’opportunité pour bâtir une nouvelle relation avec l’Afrique. L’organisation de plusieurs événements tout au long de l’année 2021 a permis de poser des jalons. En France s’est notamment tenu le sommet sur le financement des économies africaines (SFEA) du 18 mai, qui a posé les bases d’une mobilisation collective pour la relance post-Covid, et le nouveau sommet Afrique-France de Montpellier du 8 octobre qui abordera le renouvellement du partenariat avec l’Afrique à travers la société civile, la jeunesse, les diasporas, la culture et l’entrepreneuriat.

Hélène Le Gal en compagnie du Ministre des Finances Bruno Le Maire et son homologue marocain Mohamed Benchaaboun, ainsi que Moulay Hafid Elalamy ministre marocain de l’Industrie, le 31 janvier 2020 à Rabat. DR

Le Maroc a une place toute particulière dans ces dynamiques puisqu’il se situe aux confluences de tous les espaces. Partenaire privilégié de l’Europe, auprès duquel il dispose d’un statut avancé, acteur du bassin méditerranéen et leader parmi les pays africains, le Maroc est à l’intersection des réalités régionales, culturelles et politiques, de nos deux continents. Son engagement sur le continent africain couvre un large spectre, qu’il s’agisse du développement durable et du climat, du développement économique et social, ou de la stabilité et de la paix. Le Maroc fait également figure de référence dans la gestion de la crise du COVID-19 en Afrique, aussi bien sous l’angle sanitaire (que ce soit pour endiguer la propagation du virus ou assurer la vaccination de sa population), ou sous celui des mesures de relance post-COVID. Il dispose donc à cet égard d’une expérience précieuse en vue du Sommet du 18 mai.

Madame l’Ambassadrice, la montée des tensions entre le Maroc et l’Algérie fait craindre le pire tant d’un point de vue sécuritaire, qu’économique. La France jouit d’une histoire ancienne avec ces deux pays mais ne semble pas en capacité d’impulser une dynamique de désescalade de ces tensions. Quel rôle entend jouer la diplomatie française dans les prochains mois dans le but de dénouer ce conflit qui n’a que trop duré ?

Le Maroc et l’Algérie sont deux pays amis de la France et ce sont également deux partenaires historiques essentiels pour notre pays. Naturellement, nous restons attachés à l’approfondissement des liens entre les pays de la région et à l’apaisement des tensions qui peuvent exister. Sur ce terrain, nous croyons aux vertus du dialogue et à toute initiative qui consolide la stabilité et la prospérité régionales.  

Madame l’Ambassadrice, ces derniers mois Rabat a pris des positions de manière vigoureuse sur plusieurs dossiers (Espagne, Allemagne, Sahara etc.). Comment analysez-vous cette nouvelle posture diplomatique et comment la France doit-elle s’adapter à ce multilatéralisme toujours plus mouvant ?

Les relations internationales sont par essence mouvantes, et la diplomatie est le vecteur pour lire ces changements et s’y adapter. Dans le cas du Maroc, nous avons la chance d’avoir un dialogue constant et de confiance dans le cadre de notre partenariat d’exception, qui nous permet d’aborder les différents sujets  et de nous concerter pour accorder au mieux nos positions. La France s’est réjouie d’apprendre la reprise récente du dialogue entre le Maroc et l’Espagne, deux pays amis liés par de nombreux intérêts communs, dans le contexte de la main tendue à l’Espagne par SM le Roi Mohammed VI à l’occasion du 68ème anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple. Le Roi avait en effet rappelé l’importance d’adopter une attitude constructive entre pays voisins et de consolider les liens existants, une vision que la France ne peut que partager.

Au sujet du Sahara occidental, la France et le Maroc ont fait ensemble le choix du multilatéralisme, comme l’ont souligné nos deux ministres, MM. Jean Yves Le Drian et Nasser Bourita, lors de leurs derniers entretiens.  La France soutient l’effort de concertation effectué par les Nations Unies pour aboutir à une solution juste, durable et acceptée par tous, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité. Nous considérons à cet égard que le plan d’autonomie présenté par le Maroc en 2007, constitue une base sérieuse et crédible pour une solution négociée. La nomination d’un nouveau  Représentant spécial pour le Sahara occidental et Chef de la MINURSO, et celle d’un nouvel Envoyé Personnel de l’ONU pour le Sahara occidental créent les conditions pour une reprise des négociations, que nous appelons de nos vœux.

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