Analyses
Publié le : 02/09/2024
La Chine et le monde arabe
Longtemps cantonnée au rôle de partenaire commercial, la Chine séduit de plus en plus d’Etats arabes en quête de diversification géopolitique. Conflit israélo-palestinien, relations irano-saoudiennes, Maghreb, Pékin multiplie l’activisme diplomatique pour peser sur l’échiquier régional et proposer un contre modèle vis-à-vis du premier gendarme du monde : Washington. Est-ce le début d’une nouvelle Pax Sinica ou tout simplement une réorientation stratégique de circonstance vers le Sud Global ? C’est autour de la politique arabe de la Chine que la Newsroom reçoit pour la première fois, Stéphanie Balme, Directrice du Centre d’études et de relations internationales (CERI) ainsi que Laurent Bonnefoy, politologue et spécialiste du monde arabe, chercheur au CNRS et au CERI.
La Newsroom : Quand on parle de Chine et de Sud Global, est-ce une « bromance » pour une hégémonie sur les Suds, qui ne dit pas son nom ?
Stéphanie Balme
Il existe une véritable stratégie de politique étrangère chinoise envers ce que la RPC désigne elle-même comme le « Grand Sud » (全球南方 quánqiú nánfāng). Les grands principes de la diplomatie globale, souvent élaborés depuis les États-Unis, sont généralement également adoptés et traduits tels quels par la Chine et rarement déconstruits. La stratégie chinoise est claire, formulée par Xi Jinping et détaillée dans divers textes ; elle s’inscrit dans une perspective historique longue, qui remonte à la fondation de la République populaire de Chine en 1949. Sous Mao et Zhou Enlai, la Chine avait déjà tissé des liens avec les pays autrefois appelés « non-alignés », qui correspondent aujourd’hui pour la plupart aux pays du Sud.
Cette politique a été redéployée dans les années 1980, après la Révolution culturelle, au moment où la Chine de Deng Xiaoping s’ouvrait au monde. Elle s’est développée parallèlement aux ambitions des puissances à l’échelle mondiale. Cette dynamique correspond à l’accélération de la croissance économique chinoise dans les années 1980 et 1990, période durant laquelle la Chine a commencé à avoir besoin de ressources naturelles, notamment de pétrole. Ensuite, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, les relations entre la Chine et certains pays du Sud, en particulier ceux pourvoyeurs de ressources naturelles, ont commencé à s’institutionnaliser. Cela s’est produit à un moment où les relations de ces pays du Sud avec les États-Unis étaient devenues structurellement problématiques.
Si aujourd’hui on parle d’une hégémonie chinoise, c’est en raison de ses ambitions, mais aussi parce que la Chine se présente comme un concurrent des États-Unis dans cette région.
Les révolutions chinoises (la création d’un Etat nation en 1949 puis les campagnes maoïstes) coïncident effectivement avec le mouvement de décolonisation en Afrique et au Moyen-Orient. Il y a donc une certaine compatibilité idéologique avec certains régimes issus de cette phase historique en Afrique. Laurent, avez-vous des points à ajouter sur cette question ?
Laurent Bonnefoy
Bien que je ne sois pas spécialiste de ces relations, je les observe à partir de mes recherches. Il est intéressant de noter une continuité historique dans l’interaction que la Chine a développée avec certains mouvements de décolonisation ou engagés dans une stratégie d’affirmation des indépendances au cours de la seconde moitié du 20ème siècle. Par exemple, au Yémen du Nord, non socialiste, des chantiers importants menés par les Chinois ont marqué leur présence comme une alternative possible à Sanaa dès les années 1970. Une route difficile, passant par des cols à plus de 3 000 mètres d’altitude qui reliait Sanaa au port de Hodeida sur la mer Rouge, a été construite par les Chinois. À son arrivée, on trouvait une petite pagode appelée le cimetière des Chinois, immortalisée par le réalisateur italien Pier Paolo Pasolini en 1974 dans un film sur la vieille ville de Sanaa, où l’on voyait des Chinois travailler sur cette route.
Il y avait aussi un flux continu de produits de consommation importés directement de Chine. Ces relations doivent être contextualisées historiquement, puisqu’elles relèvent d’une longue quête de la Chine et des populations locales pour trouver une alternative à l’hégémonie occidentale. Cela s’est poursuivi de diverses manières. Dans les années 2000, les Chinois ont offert un bâtiment clé en main pour le ministère des Affaires étrangères yéménite. Plus récemment, en Oman, la Chine a investi de manière significative dans le port de Duqm, destiné à devenir l’un des plus importants de la région, voire du monde. Cette stratégie chinoise s’inscrit dans le cadre des nouvelles routes de la Soie et des concurrences interrégionales, notamment avec les Émirats-Arabes-Unis, qui cherchent à défendre leur propre position et leur port de Dubaï tandis que les Omanais, soutenus par les Saoudiens, promeuvent leur propre alternative.
Ces continuités historiques sont fascinantes. Pour des pays comme le Yémen ou Oman, ces projets chinois représentent des enjeux majeurs, même s’ils peuvent sembler mineurs du point de vue de la Chine.
Vous avez évoqué les alternatives que ces pays cherchent à développer face aux puissances occidentales. Dans ce contexte de « polygamie diplomatique des Suds » pour reprendre le terme utilisé par Ghassan Salamé, quel est votre point de vue sur ce rapprochement sino-arabe sur le plan géostratégique ? Nous pensons notamment à la médiation chinoise entre Riyadh et Téhéran, qui a pris tout le monde de court.
Stéphanie Balme
Je vais vous partager ma compréhension du sujet, basée sur la connaissance de l’expertise des meilleurs collègues sur ces thèmes. Il est essentiel de ne pas simplifier l’histoire de la présence chinoise dans cette région. Pour la Chine, c’est un véritable exercice d’équilibriste que de tenter de créer des partenariats dépolitisés dans un contexte ultra politisé, chargé de tensions et d’intérêts divergents, certains étant proches des États-Unis, d’autres de la Russie, et d’autres encore en opposition. La Chine n’est d’ailleurs pas la seule puissance confrontée à ce dilemme. Elle agit sur plusieurs fronts et adapte son discours en fonction de son interlocuteur, cherchant à se présenter le plus souvent comme médiateur ou facilitateur de paix. Le discours officiel de sa politique sino-arabe n’est donc pas uniforme, mais pluriel. Il est également très calculé : il se concentre sur la question pétrolière, ce qui explique le rapprochement avec l’Arabie Saoudite, auquel s’ajoutent d’autres politiques de type soft power, telles que son modèle de développement chinois et la volonté de redessiner les normes de l’ordre multilatéral. Finalement, la Chine semble se positionner dans le monde arabophone en suivant le modèle russe, utilisant des outils de soft power pour promouvoir son modèle de régime politique, de système économique et d’ordre mondial.
Historiquement, l’implication diplomatique de la Chine dans la région doit être mise en relation avec les tensions croissantes qui ont émergé à la suite des attentats du 11 septembre, notamment entre l’Arabie Saoudite et son allié historique, les États-Unis. Les 25 années de relations sino-saoudiennes sont totalement inédites et extrêmement liées au changement de paradigme post-11 septembre : le désengagement américain du régime de Moubarak en Égypte sous la présidence d’Obama, ainsi que la question du traité sur le nucléaire iranien. Tout cela a conduit l’Arabie Saoudite à diversifier ses partenariats. Parallèlement, la montée en puissance économique de la Chine, entraînant un besoin accru de pétrole, a renforcé la relation bilatérale avec l’Arabie Saoudite. L’idée pour la Chine était de court-circuiter à tout prix la diplomatie saoudienne à l’égard de la République de Chine (Taïwan), en passant par la question pétrolière et en incarnant un contre-modèle au modèle américain. Ces relations ont, en ce sens, été structurées de la fin des années 1990 jusqu’à aujourd’hui par des visites officielles et par la multiplication de partenariats autour de la question pétrolière, aboutissant à l’officialisation d’un partenariat stratégique avec l’Arabie Saoudite.Ce rapprochement représente à la fois l’aboutissement et le commencement d’une relation plus structurelle et globale. Cependant, la perception de cet accord sur le terrain reste à évaluer.
« La Chine a un tropisme vers les pays producteurs de pétrole »
Laurent Bonnefoy
La politique arabe de la Chine existe. Mais est-elle concrètement efficace sur le terrain ? Produit-elle des effets réels ? Laurent, peut-on parler d’une politique arabe de la Chine ?
Laurent Bonnefoy
Il est effectivement important de souligner que la Chine a un tropisme vers les pays producteurs de pétrole. Avec l’émergence du volontarisme chinois, ces pays – dans une démarche quelque peu « opportuniste » – recherchent des alternatives. On observe ici une continuité historique avec un engagement de plus en plus professionnel, intéressé et désidéologisé de la Chine dans la région. L’accord irano-saoudien de mars 2023, signé grâce à la médiation chinoise, en est un exemple marquant.
Je n’ai pas de détails précis sur l’implication de la Chine, mais d’après ce qu’on a pu analyser, il semble que les deux parties, Iran et Arabie Saoudite, avaient une volonté politique de se rapprocher. La Chine a joué un rôle formel et facilitateur, gonflé et mis en avant par les deux autres parties car tout le monde y avait intérêt.
Cependant, il est difficile de dire si cet engagement chinois constitue une alternative politique réelle. Pour moi, on se limite très largement à une question désidéologisée, voire dépolitisée. On se concentre sur les éléments économiques, comme le pétrole, l’hydrogène et les énergies renouvelables et on dépasse même le cadre de l’Arabie Saoudite avec des investissements significatifs en Égypte et au Maroc. Ces investissements dans l’énergie et l’économie priment sur la construction de cette alternative diplomatique.
« La Chine est capable de maintenir des relations contractuelles avec des pays très divers »
Stéphanie Balme
La Chine pourrait-elle devenir un acteur aussi influent que les États-Unis au Moyen-Orient, notamment en jouant un rôle de médiateur dans des conflits comme celui israélo-palestinien ? Dispose-t-elle des moyens et de l’ambition nécessaires pour rivaliser avec la présence militaire et diplomatique américaine dans la région ?
Stéphanie Balme
Ce que je comprends de la perception chinoise, c’est qu’encore aujourd’hui, un pays comme l’Arabie Saoudite attend moins de Pékin en matière de sécurité régionale qu’il n’attend de Washington. En d’autres termes, la pression exercée sur la Chine pour qu’elle contribue à la sécurité régionale n’est pas aussi forte que celle qui pèse sur les États-Unis, malgré la dégradation des relations avec ces derniers. Cela est probablement lié à la stratégie chinoise des « nouvelles routes de la soie », qui met en avant une approche multipolaire, résiliente et dynamique. Ainsi, la Chine est capable de maintenir des relations contractuelles avec des pays très divers, malgré le fait qu’elle soit officiellement un pays communiste et athée, ce qui n’est pas nécessairement compatible a priori avec la dynamique régionale. Ce modèle de non-intervention politique et de non-ingérence dans les affaires des autres États permet à la Chine d’être perçue comme un partenaire commercial et de coopération, mais pas au-delà. Selon des sources ouvertes, il est vrai que l’Arabie Saoudite acquiert du matériel militaire chinois.
Cependant, ces achats ne sont pas associés à des demandes d’organisation directe de la sécurité régionale. Le chiffre le plus impressionnant demeure celui de l’importation d’énergie : les deux tiers des importations chinoises en provenance d’Arabie Saoudite concernent l’énergie. Cette relation est donc principalement fondée sur des échanges économiques et commerciaux, plutôt que sur une dimension politique – qui existe, mais qui n’est pas encore la plus structurante. Les grands projets de la Chine d’ici à 2049 visent à faire du pays la première puissance technologique et économique, à travers des initiatives telles que « Made in China 2025 ». Cela s’inscrit dans une stratégie de renforcement d’un régime autoritaire, sans toutefois entrer en confrontation directe avec le reste du monde. Cette vision résonne assez efficacement avec la Vision 2030 de l’Arabie Saoudite. Actuellement, la Chine se trouve dans une phase où la relation est principalement axée sur le commerce, tout en s’efforçant de définir un nouvel ADN au-delà de la dépendance énergétique : dans le cadre du nouveau partenariat stratégique, un chemin a été ouvert pour l’affirmation de valeurs communes des deux côtés.
De manière générale, la Chine dispose des moyens de sa politique. En général, pour que les grandes stratégies fonctionnent il faut au moins trois dimensions : une volonté politique, un budget adéquat et des ressources, notamment humaines. La Chine est l’un des rares pays capables, jusqu’à présent, d’aligner ces trois variables. Elle ne manque ni de vision, ni de main-d’œuvre, ni, pour l’instant, de ressources financières.
Laurent Bonnefoy
Je n’ai pas d’éléments qui contrediraient l’idée que la Chine dispose des moyens nécessaires. Les efforts en termes de ressources humaines sont notables, nous le voyons avec nos collègues universitaires chinois qui déploient des connaissances de plus en plus fines sur la région. Cependant, il semble y avoir une stratégie « en retrait » face aux grands enjeux et conflits de la région. Par exemple, dans le cas du Yémen, alors qu’il y avait probablement un « boulevard », la Chine et la Russie ont très peu pris position pour éviter de rompre leurs relations avec certains pays et notamment avec l’Arabie Saoudite et l’Iran. Cette stratégie de retrait est également visible en Syrie et à Gaza.
Il est effectivement important de noter que les États du Moyen-Orient attendent davantage des États-Unis ou des Occidentaux, en ce qui concerne la sécurité régionale, que de la Chine. Cependant, je dirais que ce n’est pas nécessairement la sécurité régionale qui les intéresse, mais avant tout la sécurité des pouvoirs. Les attentes de l’Arabie Saoudite en matière de sécurisation du pouvoir sont satisfaites depuis 1945 par les puissances occidentales, qui ont cette capacité à soutenir des pouvoirs, quelle que soit leur nature, autoritaire ou non. Les pays de la région s’attendent à ce que ce soutien se poursuive, et ils n’ont pas nécessairement de garantie que cela puisse être obtenu de la part des Chinois eux-mêmes.
Il est vrai qu’il y a un contre-modèle chinois à l’hégémonie diplomatique occidentale, mais la Chine n’a pas de problème à traiter avec des régimes autoritaires puisqu’elle ne se positionne pas comme la gardienne de la démocratie.
Laurent Bonnefoy
Effectivement, la Chine ne se distingue pas par des dimensions symboliques ou des interactions avec la société civile comme le fait l’Occident.
Stéphanie Balme
Pour la Chine, le point de solidarité avec l’ensemble de ces pays réside dans son opposition à l’ordre mondial établi depuis 1945, dans la nécessité de faire entendre la voix du (ou des) “Grand Sud”, ainsi que dans sa capacité à se montrer astucieuse sur certains dossiers pour défendre les intérêts du Grand Sud, par exemple sur les questions climatiques au sein du groupe des 77 lors des COPs. De plus, la Chine critique le double standard et ce qui serait l’« hypocrisie » des régimes démocratiques. Par cette approche critique, la Chine parvient ainsi à rassembler un groupe élargi et divers de pays, en particulier dans cette région, autour d’une délégitimation croissante du modèle « occidental ». Ironiquement, elle en est largement un membre représentant à travers ses valeurs économiques capitalistes, sa désormais longue tradition communiste et l’ultra-individualisation des rapports sociaux, entre autres.
La Chine peut effectivement se démarquer en soulignant qu’elle s’éloigne du modèle américain, comme l’illustre sa position depuis l’invasion de l’Irak en 2003.
Stéphanie Balme
C’est vrai. Cependant, il existe un écart significatif entre les actions de la Chine et la perception que l’on en a en matière de géopolitique. La Chine a rencontré des désaccords frontaliers avec presque tous ses voisins, y compris notamment la Russie, l’Inde, le Vietnam, les Philippines et la Mongolie. Il est crucial de ne pas oublier que la Chine est impliquée dans des différends territoriaux en mer de Chine. Le discours qui présente la Chine comme un acteur non colonial est parfois en contradiction avec les réalités vécues ou perçues par certaines populations au sein de son espace régional. Néanmoins, ce discours trouve un écho dans le monde arabe et dans la critique du vieux modèle occidental.
Nous avons évoqué l’idée d’un « ADN » de contestation du modèle occidental, incarné par les États-Unis, auquel l’Europe s’est alignée sans se poser en véritable contre-modèle. Parallèlement, la question israélo-palestinienne est aujourd’hui cruciale. À cet égard, Xi Jinping a appelé à l’organisation d’une conférence de paix « élargie ». Ce sommet sino-arabe de mai 2024 a mis en avant des thèmes tels que la paix mondiale, les intérêts économiques et la question israélo-palestinienne. Depuis le 7 octobre, la Chine a su se démarquer des États-Unis en adoptant une position plus équilibrée et plus astucieuse, car non dépendante d’une opinion publique largement tenue à l’écart de ces débats, tout en maintenant une coopération économique et militaire avec Israël.
Laurent Bonnefoy
Je ne suis pas certain que le discours « propalestinien » de la Chine ait un réel impact sur les sociétés arabes, en raison notamment de la concurrence avec l’Iran qui joue un rôle important. Chacun perçoit bien que la Chine n’a pas encore pris de position forte au Conseil de sécurité ou ailleurs sur ce conflit.
Stéphanie Balme
Les points forts de la position chinoise résident dans son plaidoyer constant pour un cessez-le-feu et la création d’un État palestinien. Cependant, bien que la Chine se présente comme un médiateur dans les grands conflits mondiaux, ses appels à la paix demeurent très généraux et pourraient s’appliquer à de nombreux conflits. L’engagement chinois n’est pas aussi marqué qu’il pourrait le sembler, et ses efforts en faveur d’un cessez-le-feu immédiat et de la création d’un État palestinien ne s’alignent pas du tout sur la politique américaine, ce qui constitue une différence significative.
En ce qui concerne l’Iran, la situation est complexe. La relation étroite entre la Chine et l’Iran soulève des préoccupations, et il est probable que plusieurs pays de la région attendent des éclaircissements de la part de la Chine sur cette dynamique.
Laurent Bonnefoy
Nous le voyons au Yémen. Ce qui est remarquable, c’est l’absence de politique de la Chine. Même dans le contexte des attaques des houthistes en mer Rouge, on observe que la Chine n’a pas pris de position forte. Les attaques affectent principalement les flux commerciaux entre la Chine et l’Europe, en passant par Israël, mais le gouvernement chinois n’a pas montré d’implication directe. Les houthistes ont affirmé qu’ils ne ciblaient pas les navires chinois et se sont même montrés prêts à les escorter, malgré cela, le commerce est affecté et la Chine ne s’est pas impliquée directement sur ces questions sécuritaire ou diplomatique. La Chine maintient sa logique de dépolitisation et évite de s’aliéner les parties en conflit, à savoir l’Iran et l’Arabie Saoudite.
Il y a donc toujours un conflit par proxy entre les Iraniens et les Saoudiens au Yémen, malgré la baisse d’intensité du conflit principal. Cette tension perdure entre les deux puissances régionales, même après le sommet Riyadh/Téhéran sous la houlette chinoise ?
Laurent Bonnefoy
Il y a effectivement une volonté des deux parties, mais pour qu’elle se concrétise, il est nécessaire d’être clair sur les actions à mener. L’Iran joue un jeu qui peut sembler hypocrite, tout en étant conscient de ses propres intérêts.
En termes de présence des puissances étrangères qui pourraient équilibrer la situation, les États-Unis sont les seuls à avoir encore un poids significatif qui pourrait changer la donne ?
Laurent Bonnefoy
Oui et non. En réalité, l’influence des acteurs régionaux est beaucoup plus déterminante. L’Iran, par exemple, devrait montrer des signes de bonne volonté, notamment en arrêtant de soutenir les houthistes militairement. De leur côté, les Saoudiens doivent reconnaître la nécessité de s’engager financièrement et techniquement dans la reconstruction. Cela implique aussi qu’ils doivent admettre une certaine forme de défaite, ce qu’ils commencent à faire.
Le problème ne vient plus tellement de l’Arabie Saoudite, mais plutôt des houthistes sur le plan local et de l’Iran sur le plan régional. Bien que la Chine puisse avoir quelques leviers d’influence, elle n’a pas encore démontré un engagement significatif dans ces enjeux.
La reconstruction du Yémen pourrait aussi être une opportunité pour les Chinois. Il n’y a pas eu jusqu’à présent de grande conférence sur la reconstruction du Yémen. C’est un vrai sujet.
Laurent Bonnefoy
Actuellement, il ne s’agit pas tant de reconstruire les infrastructures, mais de mettre en place des stratégies pour le paiement des salaires des fonctionnaires. C’est un enjeu crucial. Les houthistes exigent que les Saoudiens prennent en charge les arriérés de salaire des fonctionnaires dans les zones qu’ils contrôlent, ce qui pose un certain nombre de problèmes puisqu’on atteint des sommes conséquentes.
Il y a eu un projet récent de construction routière, mais le Yémen est un pays très rural et montagneux, ce qui complique la réalisation. Ces projets ne concernent pas seulement la reconstruction mais aussi le développement d’infrastructures.