Analyses

Publié le : 28/11/2024

Pierre Duquesne : La paix au Proche-Orient est encore possible

Parmi les multiples fonctions que vous avez occupées durant votre carrière, vous avez travaillé entre autres au sein de la Direction générale du Trésor, du cabinet du Premier ministre Lionel Jospin, à la Banque mondiale, au FMI, à l’OCDE ; vous avez également été ambassadeur délégué interministériel à la Méditerranée et ambassadeur chargé du soutien au Liban.

Considérant ces expériences à la fois nationales et internationales, comment analysez-vous les grands rapports de force du moment entre un Occident en difficulté, la montée en puissance du « Sud global », la rivalité croissante sino-américaine et le retour de régimes autoritaires en Europe ? 

Je suis moins pessimiste que ce que votre question semble suggérer. Lorsque j’ai commencé ma carrière dans les années 1980, le monde était profondément divisé en blocs rigides. À l’ONU, les votes s’organisaient systématiquement par groupes : les pays d’Europe occidentaux formaient le Groupe A, ceux de l’Est le Groupe B, et le Tiers Monde le Groupe C. Les positions étaient figées, et les résultats, prévisibles. Aujourd’hui, cette configuration a évolué : bien que l’on puisse percevoir une plus grande imprévisibilité, celle-ci n’est pas uniquement source de dangers. Elle ouvre aussi des perspectives accrues de négociations et d’interactions.

Concernant la notion de « Sud global », j’aimerais souligner trois points. Premièrement, je préfère cette appellation à celles de « Tiers monde » ou de « pays émergents ». Certains pays qualifiés ainsi ne sont plus « émergents » mais désormais développés, tout en se sentant davantage liés au Sud qu’au Nord. Deuxièmement, le qualificatif de global signifie aussi que ces pays participent pleinement à la mondialisation, même si ce n’est pas toujours selon les règles que nous souhaiterions imposer. Ce sont des acteurs intégrés dans le système global, et non des entités en marge. Enfin, il ne tient qu’à nous, les nations du « Nord global », de ne pas encourager une cristallisation du Sud en un bloc homogène. L’application d’un double standard dans nos relations internationales – notamment en comparant notre traitement du droit international en Ukraine et au Proche-Orient – contribue à renforcer cette opposition. Cette homogénéisation du Sud global en un bloc unanime est un risque réel, mais il dépend en grande partie de nos propres choix politiques et diplomatiques. La décision récente de la Cour pénale internationale va ainsi dans le bon sens, en ce qu’elle conforte un « multilatéralisme judiciaire », plus égalitaire. 

« Il ne tient qu’à nous, les nations du « Nord global », de ne pas encourager une cristallisation du Sud en un bloc homogène. »

Pierre Duquesne

En ce qui concerne le retour des régimes autoritaires en Europe, je relativiserais cette inquiétude. Il n’y a pas si longtemps, l’ensemble de l’Europe de l’Est vivait sous des dictatures, de même que des pays tels que la Grèce, le Portugal et l’Espagne. Aujourd’hui, bien qu’il y ait des régimes préoccupants, le continent compte plus de démocraties qu’il y a quarante ans.

Enfin, la rivalité sino-américaine me semble inévitable au regard de la position des deux puissances comme premières économies mondiales. Ce qui serait plus étonnant, voire inquiétant, ce serait une entente entre ces deux géants contre le reste du monde.

Selon vous, l’Occident n’est donc pas en déclin ?

Je ne partage pas l’idée d’un déclin occidental. Prenons l’exemple de la France : il est vrai que notre rang économique a légèrement baissé – notamment avec l’émergence de la Chine – mais nous demeurons parmi les nations les plus prospères. Les évolutions des rapports de force ne se traduisent pas systématiquement par un affaiblissement de l’Occident ni de la démocratie.

Cependant, la rivalité sino-américaine met en opposition deux modèles : d’une part, celui de la démocratie libérale portée par l’Occident, fondé sur la liberté d’expression, la presse indépendante et le multilatéralisme ; d’autre part, celui de la Chine, caractérisé par un régime autoritaire centralisé et des médias contrôlés.

 ©TINGSHU WANG/Challenge

Votre analyse est juste, mais il est important de noter que ce clivage idéologique n’est pas nouveau. L’Union soviétique représentait également un contre-modèle à la démocratie libérale. En revanche, on observe une progression démocratique significative dans certaines régions, comme l’Amérique latine ou certaines parties de l’Afrique et du Moyen-Orient, qui étaient autrefois majoritairement dominées par des régimes autoritaires.

Il est vrai que les années 1990-2000 ont laissé croire que le modèle occidental s’imposerait universellement, mais cette hypothèse s’est révélée erronée. Le monde reste marqué par des dynamiques plurielles et des trajectoires divergentes.

« Les évolutions des rapports de force ne se traduisent pas systématiquement par un affaiblissement de l’Occident ni de la démocratie. »
Pierre Duquesne

Donald Trump a été réélu pour un second mandat. Ce choix pourrait redéfinir durablement la scène internationale, en particulier au Moyen-Orient et en Ukraine. Dans ce contexte, peut-on espérer une impulsion américaine décisive dans les mois à venir ? Ou doit-on envisager un désengagement progressif, notamment vis-à-vis de l’Ukraine ?

En ce qui concerne le Moyen-Orient, je ne pense pas qu’un changement d’administration, qu’elle soit républicaine ou démocrate, modifie substantiellement la position des États-Unis. Depuis des décennies, la politique américaine dans cette région reste constante. Prenons le cas de la politique récente à l’égard d’Israël : l’administration de Joe Biden soutient fermement l’État israélien sur les plans militaire, financier et diplomatique, tout comme Donald Trump l’aurait fait. Il n’y a eu aucun effort significatif pour relancer une solution à deux États.

Les grandes décisions structurantes dans cette région ont été prises il y a dix ou vingt ans : l’invasion de l’Irak en 2003 par George W. Bush, et le choix de Barack Obama en 2013 de ne pas intervenir en Syrie. Ces deux événements ont profondément redéfini la géopolitique régionale et leurs conséquences se font toujours sentir.

Concernant l’Ukraine, le soutien américain reste fort, mais il est soumis à des pressions budgétaires et politiques. Les votes au Congrès montrent des divisions internes, et ce soutien est parfois conditionné à d’autres intérêts, comme l’aide militaire à Israël. Malgré tout, il est notable que la Russie, malgré ses ambitions initiales, n’ait pas atteint ses objectifs stratégiques majeurs en Ukraine, près de trois ans après le début de cette guerre.

À terme, une solution négociée semble inévitable. Cette issue devra permettre à chaque partie de préserver la face, condition essentielle à la stabilité internationale.

Enfin, pour répondre à votre remarque implicite sur la diplomatie dite « transactionnelle » de Trump ou Poutine, il convient de préciser qu’aucune diplomatie n’est purement altruiste. Toutes les nations, y compris celles de l’Occident, agissent dans le cadre de leurs intérêts stratégiques, qu’il s’agisse de bilatéralisme ou de multilatéralisme. L’idée d’une diplomatie philanthropique est une illusion. La véritable question est de savoir si cette diplomatie transactionnelle est exercée dans le cadre de règles acceptées par l’ensemble des acteurs.

Donald Trump avec Benjamin Netanyahu en septembre 2020 après avoir signé les accords d’Abraham, qui normalisent les relations entre Israël et certains pays du Moyen-Orient. ©Tom Brenner/Reuters/The Guardian

Pendant sa campagne, Donald Trump a clairement réaffirmé sa volonté d’accélérer le processus d’isolationnisme et de protectionnisme économique des États-Unis, une politique qui a été initiée lors de son précédent mandat et que Joe Biden avait poursuivie après lui. Nous savons que les États-Unis ont une mainmise historique sur les organismes financiers et économiques internationaux. 

Ainsi, qu’est-ce que l’intensification du protectionnisme économique américain va impliquer pour la gouvernance économique mondiale ? Et surtout, quelle marge de manœuvre l’Union Européenne détient-elle dans cette architecture économique et financière internationale ?

Depuis des années, ce ne sont pas les acteurs chinois, mais bien les États-Unis qui sont dans une posture de blocage à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Pourquoi cela ? Parce que l’OMC a introduit, entre autres, une procédure de règlement des différends, ainsi qu’un mécanisme d’appel quasi judiciaire des décisions rendues par l’Organe de règlement des différends (ORD). Or, les États-Unis refusent de nommer les juges à cette instance. Ainsi, aujourd’hui, le fonctionnement de l’OMC est paralysé, non seulement par l’absence de nouvelles négociations, mais également par ce blocage américain, qui refuse que ses entreprises puissent être condamnées. Joe Biden n’a pas modifié cette posture, et je ne crois pas que ce blocage soit susceptible de changer de sitôt.

J’aimerais souligner que, historiquement, les Républicains, avant Donald Trump, se sont toujours montrés moins enclins que les Démocrates à soutenir la gouvernance économique mondiale. Au début de ce siècle, à l’époque de George W. Bush, des figures influentes du Parti républicain militaient pour la suppression du FMI et de la Banque mondiale, ou du moins pour réserver la Banque mondiale aux actions humanitaires, ciblant les pays les plus démunis, et pour confier au FMI la gestion des crises dans les pays émergents bien gérés. Ces personnalités étaient issues du courant néoconservateur de l’époque.

Cette position comporte selon moi des risques importants, car la tendance au sein du Parti républicain est de considérer que, si les États-Unis ne pilotent pas entièrement les institutions de gouvernance économique mondiale, ces dernières ne pourront tout simplement pas fonctionner. Ce risque semble plus prégnant chez les Républicains que chez les Démocrates.

L’intensification du protectionnisme américain, dans sa forme la plus stricte, pourrait se traduire par l’imposition de nouveaux tarifs douaniers et de barrières commerciales. Pour l’Union européenne et d’autres grandes puissances, la symétrie des intérêts demeure essentielle. Cependant, des pratiques comme le droit économique extraterritorial, les sanctions contre les entreprises européennes et le démantèlement d’entités comme Alstom ne sont pas des phénomènes nouveaux. À ce titre, je doute que nous soyons véritablement face à un « nouvel ordre économique mondial ».

Quant aux organisations financières internationales, il est frappant de constater qu’elles ne sont pas remises en cause par les grandes puissances du « Sud global ». Il faut savoir que la composition du conseil d’administration du FMI (ou de celui de la Banque mondiale) n’a rien à voir avec celle du Conseil de sécurité des Nations Unies. Non seulement les cinq membres permanents du Conseil de sécurité bénéficient d’un siège pérenne dans les institutions de Bretton Woods, mais des pays comme le Brésil, l’Inde et l’Arabie Saoudite également, à côté encore du Japon et de l’Allemagne. 

La directrice générale du Fonds monétaire international, Kristalina Georgieva et Ajay Banga, président de la Banque mondiale, participent à une conférence de presse lors des réunions annuelles du FMI et de la BM, à Marrakech, le 12 octobre 2023. ©FADEL SENNA/AFP

Étant donné que les votes au FMI se font en fonction de la quote-part de chaque nation, ces pays – et plus particulièrement la Chine – revendiquent que leur poids au sein de l’institution soit proportionnel à leur poids économique. Cette demande me semble pleinement légitime. Contrairement aux revendications des pays du « Tiers-monde » dans les années 1970 et 1980, qui réclamaient quasiment la suppression du FMI et de la Banque mondiale, ces nations n’appellent pas à la mise en place du système onusien « un État, une voix ». Elles acceptent le système actuel, à condition que leur représentation au sein de celui-ci soit conforme à la réalité économique. Il me semble que cette exigence est tout à fait raisonnable. Si elle n’est pas satisfaite, nous risquons de revivre ce qui s’est produit il y a une dizaine d’années en Chine : la création d’organismes concurrents.

L’Europe, de son côté, bénéficie d’un levier important grâce à la monnaie unique, qui lui confère une grande force en matière de coordination des politiques économiques. Cela lui permet, sinon de parler d’une seule voix, du moins de s’exprimer de manière plus coordonnée dans les forums économiques internationaux.

Je suis convaincu que l’Union européenne, dans son ensemble, et la zone euro en particulier, disposent des ressources nécessaires pour agir. Le multilatéralisme économique reste en meilleure forme que le multilatéralisme politique. Il est en difficulté quand le contexte géopolitique l’influence trop. 

Ainsi, il faut noter un changement récent, sous l’impulsion des États-Unis. Le FMI, dont la doctrine était jusqu’à récemment de ne jamais prêter à un pays en guerre, a engagé d’énormes prêts en faveur de l’Ukraine.

« Le multilatéralisme économique reste en meilleure forme que le multilatéralisme politique. »

Pierre Duquesne

Nous avons évoqué précédemment l’implication des États-Unis dans le conflit israélo-palestinien. Ce conflit a pris une nouvelle dimension, plus exacerbée encore, avec des attaques directes croissantes entre Israël et l’Iran. Malgré la position de soutien inconditionnel des États-Unis à Israël, on observe un délitement progressif de l’alliance occidentale derrière le narratif israélien et un soutien de plus en plus discret à la solution des deux États.

Comment, dans ce contexte, peut-on clarifier la situation ? Qui détient véritablement les clés de la paix dans la région ?

Pour répondre à cette question de manière provocante, je me souviens d’une déclaration publique en 2009 de Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères. Il avait indiqué en substance : « Le camp de la paix a disparu en Israël ». Ce constat reste pertinent aujourd’hui. Cela ne signifie pas que la population israélienne soit pour la guerre, mais plutôt qu’elle a complètement ignoré la question palestinienne. Pour elle, ce problème n’existe plus. Au-delà de la colonisation, des routes séparées, du mur, un Israélien aujourd’hui n’a même plus conscience qu’il y a trois millions de Palestiniens en Cisjordanie, ni de la situation des deux millions de Gazaouis. Tant que cette population israélienne ne « descendra pas dans la rue » pour réclamer une solution politique, je crains que la résolution de ce conflit reste hors de portée. Ce n’est pas une condition suffisante bien sûr, mais sans doute un préalable  nécessaire. 

Le mur de séparation entre Israël et les territoires palestiniens, en construction depuis 2004, traverse le camp Aida, à Bethléem. © AFP/Virginie Haffner/Hans Lucas

Vous avez raison de souligner qu’en Occident, de manière discrète, on prend conscience de l’iniquité du traitement. Le massacre terroriste ignoble de civils israéliens du 7 octobre 2023 a conduit, dans les premiers mois qui ont suivi, à une certaine compréhension de la réplique israélienne. Mais aujourd’hui, personne ne comprend vraiment quels sont les objectifs ultimes d’Israël. La seule solution envisageable reste celle des deux États, avec une implication renforcée de la communauté internationale, non seulement des États-Unis et de l’Europe, mais aussi de la région du Golfe. C’est peut-être là une clé de la paix, même si, je le reconnais, les pays de la région, et notamment l’Arabie Saoudite, ont peu montré de soutien explicite au peuple palestinien. Cependant, l’Arabie Saoudite, elle, se soucie particulièrement de la stabilité de la région.

« Tant que cette population israélienne ne « descendra pas dans la rue » pour réclamer une solution politique, je crains que la résolution de ce conflit reste hors de portée. »

Pierre Duquesne

Aujourd’hui, la perception du narratif israélien change car personne n’y comprend plus rien. La question qui se pose est : que faire des 5 millions de Palestiniens vivant dans ce que certains Israéliens appellent le « Grand Israël » ? Quel statut leur est accordé ? Cette question, bien que non formulée explicitement, est fondamentale. Que deviennent-ils, tout simplement en tant qu’êtres humains ?

Je voudrais souligner un point : il est erroné de dire qu’il n’y a jamais eu de négociateur palestinien responsable. En décembre 2007, j’ai organisé, à la demande de Nicolas Sarkozy et de Bernard Kouchner, la « Conférence internationale des donateurs pour l’État palestinien ». À l’époque, l’objectif était de démontrer, comme le souhaitait Israël, que les Palestiniens pouvaient gérer un État. Au printemps 2011, les Nations Unies, le FMI et la Banque mondiale, ainsi que la communauté internationale, ont conclu « que l’Autorité palestinienne est au-dessus du seuil d’un État fonctionnel ». C’était notamment le résultat du travail du Premier Ministre palestinien de l’époque, Salam Fayyad. Sur cette base, le gouvernement palestinien a sollicité son admission à l’ONU en tant qu’État membre. Les États-Unis, à la requête d’Israël, ont bloqué cette demande. Cependant, les Palestiniens ont obtenu un statut d’État non-membre observateur en 2012, un statut similaire à celui du Vatican. Ils sont entrés comme membre plein à l’Unesco en 2011. Dans les deux cas, la France a voté en faveur de la Palestine. Devenir État observateur a ensuite permis à la Palestine d’adhérer au Statut de Rome et d’intégrer la Cour pénale internationale. Ainsi, il y a eu un moment où l’on pensait que les Palestiniens étaient capables de gérer un État, avant que ce processus ne soit interrompu par Israël. Pour autant, il y a aujourd’hui juridiquement un État de Palestine. 

La paix est possible, mais pour qu’elle advienne, il faudrait que la population israélienne réalise que la situation ne peut durer indéfiniment. Je comprends que cela soit difficile depuis le 7 octobre 2023. Ce ne se réglera pas vraiment tant que le camp de la paix n’émergera pas à nouveau au sein de la société israélienne.

Justement, les députés israéliens ont voté une loi interdisant les activités de l’UNRWA qui fournit une aide aux réfugiés palestiniens. Que pensez-vous de cette décision politique ? Est-ce une décision unilatérale qui prend le pas sur la gouvernance internationale ?

Un Palestinien devant l’emblème de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (Unrwa) dans la ville de Gaza en 2018. ©Saïd Khatib/AFP/Getty Images

Cette décision est tout à fait absurde et relève d’une logique difficilement défendable, pour deux raisons rappelées par beaucoup d’observateurs, auxquelles s’ajoute une troisième dimension, plus implicite. 

Les deux premières questions à se poser sont les suivantes. D’une part, l’UNRWA a fourni une aide humanitaire cruciale aux Palestiniens, et si cette agence cesse ses activités, la question se pose légitimement : qui prendra le relais ? Le contribuable israélien ? D’autre part, l’UNRWA a joué à Gaza un rôle important, en tant qu’alternative au Hamas pour la fourniture de services publics tels que l’éducation, la santé et d’autres. Si l’agence venait à disparaître, quelles seraient les conséquences pour la population palestinienne ? La troisième raison, plus subtile, de cette interdiction réside dans le fait que ce qui gêne Israël n’est pas tant l’implication de quelques employés de l’UNRWA dans les opérations du Hamas, mais le statut même de « réfugié palestinien », qui reste géré par une agence onusienne distincte et qui perdure encore aujourd’hui.

Une solution envisageable pourrait être de rompre les liens avec l’UNRWA et de transférer la gestion de cette question à l’UNHCR, considérant ainsi les Palestiniens comme des réfugiés « classiques ».

Nier l’UNRWA revient à nier leur statut de réfugié et dès lors, une question se pose inévitablement : si ces individus ne sont plus des réfugiés, comment les qualifier ? Seront-ils considérés comme apatrides au sein même de l’État d’Israël ? Deviendront-ils des citoyens israéliens ? Avec quels droits ? En fait, l’activité de l’UNRWA était assez pratique pour Israël. En outre, l’interrogation va bien au-delà d’une simple question de statut, elle soulève une problématique de portée internationale. Les récentes actions d’Israël – à savoir la déclaration du Secrétaire général de l’ONU comme persona non grata, les attaques contre les casques bleus au Liban et l’interdiction de l’UNRWA – témoignent d’une ambiguïté manifeste. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la position d’Israël concernant l’Ukraine, depuis février 2022, s’est inscrite au mieux dans la neutralité, au pire dans une logique de compréhension du « Sud global ».

Concernant la situation du Liban, Emmanuel Macron a récemment réaffirmé l’engagement de la France à soutenir le pays et ses habitants. La conférence internationale de soutien qui s’est tenue à Paris a permis de récolter plus de 800 millions de dollars d’aide humanitaire, ainsi que 200 millions de dollars supplémentaires pour soutenir l’armée libanaise, selon les déclarations de Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères.

Mais quelle est la véritable marge de manœuvre de la France dans ce contexte complexe ? Quel rôle peut-elle jouer, eu égard à son histoire et à ses liens traditionnels avec le Liban ? Comment le pays peut-il espérer surmonter ses crises internes tout en faisant face à une situation régionale particulièrement délicate ?

Le Premier ministre libanais Najib Mikati, le Président français Emmanuel Macron et le ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot lors d’une conférence de presse internationale de soutien au Liban, à Paris le 24 octobre 2024. SIPA / © Lafargue Raphael

L’engagement de la France envers le Liban ne se limite pas à la gestion de la crise née de l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020. La première visite d’État en France d’un chef d’État étranger, le Président libanais Michel Aoun remonte à l’été 2017, quelques mois après l’élection du Président Macron. 

Cette même année, on m’a demandé d’organiser une conférence internationale, qui aurait été baptisée Paris IV. Il s’agissait de la quatrième édition après les conférences Paris I (2001), Paris II (2002) et Paris III (2007). Cependant, je me suis permis de refuser cette appellation, car les éditions précédentes n’avaient, à mon sens, abouti à aucun résultat tangible.

J’ai proposé un concept nouveau en décembre 2017 : appeler cette conférence la CEDRE, acronyme pour « Conférence Économique pour le Développement par les Réformes et avec les Entreprises ». Cette conférence, tenue le 6 avril 2018, avait des objectifs clairs : promouvoir le développement par des réformes structurelles, en intégrant également le secteur privé, plutôt que de se concentrer uniquement sur la gestion de crise ou l’interventionnisme étatique. Le principe était simple : « réalisez les réformes, et vous obtiendrez de l’aide ». La communauté internationale avait promis 11 milliards de dollars à l’occasion de la conférence. Cependant, aucun fonds n’a été débloqué, en raison de l’absence de réformes au Liban. Cette situation a conduit à un changement de paradigme de la communauté internationale vis-à-vis du pays, avec des pressions renforcées pour pousser à des changements concrets.

L’ancien premier ministre libanais, Saad Hariri, et l’ancien ministre des affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, à Paris, le 6 avril 2018. ©Pool/Reuters

La France est parfois perçue, au sein de la communauté internationale, comme un acteur qui cherche à s’impliquer partout dans le monde, en émettant des avis parfois jugés excessifs ou inutiles. Toutefois, son rôle au Liban fait exception : personne ne conteste la légitimité de son engagement, en raison des liens historiques, culturels et politiques profonds qui unissent les deux pays. À titre de contre-exemple, l’interventionnisme très appuyé de la France en Libye a pu être contesté, car ce pays ne relève pas de notre sphère d’action privilégiée, mais ce n’est pas le cas pour le Liban. La France possède la capacité unique de dialoguer avec l’ensemble des communautés politiques libanaises. Nous sommes d’ailleurs le seul pays occidental à ne pas considérer la branche politique du Hezbollah comme terroriste, ce qui nous permet d’entretenir un dialogue direct avec ce groupe. Cette position nous confère une marge de manœuvre importante, tant au Liban qu’au niveau régional. L’annonce d’un cessez-le-feu au Liban, salué par un communiqué États-Unis-France portant sur sa mise en œuvre, en est un tout récent témoignage supplémentaire.

Je suis convaincu que le Liban peut se relever, notamment grâce à son « capital humain », mais il est crucial d’aller au-delà de l’humanitaire et de la sécurité. L’urgence politique est de permettre aux citoyens libanais, après plus de deux ans de paralysie institutionnelle, d’élire enfin un président de la République afin de former un gouvernement pleinement opérationnel et de redonner à l’État son fonctionnement normal. Sur le plan économique, il est indispensable que le Liban conclue un accord avec le Fonds monétaire international. Quant à la sécurité, bien que l’armée libanaise soit aujourd’hui l’une des rares institutions encore en place, il est essentiel qu’elle assume pleinement le contrôle du sud du pays.

Déchargement d’aide humanitaire arrivée de France, le 1er novembre 2024 sur l’aéroport de Beyrouth  –  Anwar AMRO – Beyrouth (AFP)

En ce qui concerne l’aide humanitaire, un des problèmes majeurs du Liban réside dans l’absence, ou l’insuffisance, d’un véritable État. Permettez-moi de dire en souriant que le fait que les Libanais puissent se passer d’un État efficace montre que l’influence française ne garantit pas nécessairement la construction d’un État stable ! Si l’on continue de concentrer les efforts principalement sur l’aspect humanitaire, on risque de créer une situation où les ONG, en tant qu’acteurs quasi exclusifs de l’aide, finissent par remplacer les institutions publiques. Ce phénomène pourrait conduire à l’émergence d’une « République des ONG », dans laquelle l’État serait relégué au second plan, au détriment de sa souveraineté et de son développement institutionnel. Ce n’est bien sûr absolument pas souhaitable. 

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