Analyses
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Publié le : 20/01/2025
Hamza Hraoui : La démocratie dans le monde arabe est inévitable.
Dans une tribune publiée dans le journal l’Opinion, Hamza Hraoui, cofondateur du cabinet, dresse un portrait positif de ce que peut être le futur modèle de gouvernance politique arabe, qui serait beaucoup plus proche de la démocratie en prenant l’exemple syrien.
La rébellion syrienne est représentative d’une majorité écrasante de Syriens. – ANWAR AMRO – Damas (AFP)
Alors que Bachar Al Assad fuyait Damas, le monde s’est soudainement rappelé le scénario irakien et la chute de Saddam Hussein provoquée par l’intervention américaine. Des commentaires sceptiques ont envahi les réseaux sociaux, craignant à juste titre que le chaos créé par le vide à la tête de l’État ne facilite l’émergence d’un nouveau foyer djihadiste violent. C’était oublier un facteur central, à savoir que la rébellion syrienne, même aidée par le soutien d’Ankara et par le retrait concomitant des appuis iranien et russe au dictateur Al Assad, est représentative d’une majorité écrasante de Syriens.
Réfugiés ou non, ces Syriens se retrouvent autour d’un unique objectif : la chute de la tyrannie subie depuis plus d’un demi-siècle. Il est vrai que le sort de la Syrie demeure incertain et que ses voisins cherchent déjà à empiéter sur sa souveraineté. Mais il est vrai aussi que, depuis le début des printemps arabes, nous n’avons jamais été aussi proches de l’émergence d’un modèle démocratique du Moyen-Orient.
L’origine du mal
Alors que la plupart des chefs d’États arabes, soutenus par un personnel politique occidental d’extrême droite, s’étaient convaincus que la menace du djihadisme global avait fait reculer les aspirations à l’exercice de la souveraineté populaire au profit du retour des autoritarismes, au nom du fameux choix entre stabilité et renoncement aux libertés ou règne du chaos et du terrorisme, ce qui vient de se passer en Syrie nous prouve exactement le contraire. Ces mêmes États qui ont fait le choix de l’autoritarisme se savent acculés face à une potentielle remontée contestataire qui viendrait anéantir le recours à la menace du « scénario du chaos syrien ».
Au fond, la posture de ces régimes est tactiquement inepte, car elle dévitalise toute émancipation intellectuelle ou politique à même de lutter contre la pensée obscurantiste contre laquelle elle prétend lutter. Elle est, en outre, bête sur le plan doctrinal, car l’imposition de l’arbitraire pour garantir une stabilité de façade ne fait qu’enfanter des radicalisés plus déterminés encore.
Assistons-nous donc à la fin des régimes dictatoriaux sanguinaires ? Le constat de Christopher R. Hill, ancien secrétaire d’État adjoint américain en Asie du Sud Est, est tristement vrai : les États du Moyen-Orient s’affaiblissent à mesure que les autorités traditionnelles, qu’il s’agisse d’oligarchies militaires ou de régimes autoritaires laïcs, semblent incapables de répondre aux attentes de leurs citoyens, plus jeunes et connectés et par conséquent plus critiques et désireux de changement. Le diplomate américain se base en effet sur le constat de l’affaiblissement de l’autorité étatique et du renforcement des allégeances tribales et sectaires.
Que signifie aujourd’hui être Irakien, Syrien, Soudanais ou Libanais ? Toute désignation significative semble nécessiter un nom composé – Irakien sunnite, Syrien alaouite, Soudanais du sud et ainsi de suite. Ces exemples démontrent que l’identité politique est devenue moins citoyenne et plus primaire. Pour expliquer ces anachronismes, il faut d’abord rappeler la diversité des États constitués au lendemain des indépendances : différentes exigences de développement, territorialisations en partie héritées de deux pensées colonialistes, française et anglaise, et devant composer avec des clivages sociaux et culturels particuliers.
Ces hétérogénéités ont contribué à alimenter les clivages sur l’unité où était questionnée l’identité politique arabe. Les divergences de doctrine furent exaltées également sur le plan international avec des allégeances externes incompatibles : quand le Maroc et la Jordanie choisissent le camp atlantiste, l’Algérie et l’Égypte elles, se tournaient vers le bloc soviétique. La dimension transnationale n’est revenue qu’à travers l’idéologie de l’islam politique, qui a réussi à regrouper une communauté d’intérêts du Caire à Alger. La puissance mobilisatrice de l’islamisme a nourri l’idée d’un universalisme arabe et l’émergence de nouveaux acteurs brandissant l’étendard de la lutte contre « une élite corrompue ».
Alors que l’ère post-printemps arabe a balayé l’utopie islamiste, laquelle s’est en partie effondrée à l’épreuve du pouvoir, force est de constater que les populations arabes se regroupent aujourd’hui autour d’un idéal longtemps déformé par les grilles de lecture occidentales : la démocratie. Car après avoir succombé soit aux dogmes totalitaires, soit aux dogmes conservateurs, un « nous démocratique » arabe semble faire surface et mérite que l’on y soit très attentif.
Le Maghreb, une nouvelle fois, peut redevenir un pôle de progrès pour un nouveau monde arabe comme ce fut le cas à son apogée au XIXème avec la Nahda ou « Renaissance », laquelle était à la fois intellectuelle et politique.
Machiavel nous a déjà donné les ingrédients d’une nation unie autour d’un idéal : tout commence par la tribu, puis la cité entre en scène, cités grecque, phénicienne, carthaginoise, en même temps que l’empire protéiforme est toujours naissant. Enfin, se présente la nation. La seule forme politique inventée par la modernité. Jeanne d’Arc en est précurseure au XVème siècle en Europe. Georges Washington et Simon Bolivar en Amérique. Gandhi ou Mandela en sont les derniers héros. À la fois émancipateurs politiques et messagers spirituels. Au Maghreb, la notion existe bel et bien, elle est même exacerbée dans certains pays, sans pour autant faire sens autour de la démocratie, aucun régime n’ayant encore trouvé son modèle.
Le Maghreb comme phare du nouveau monde arabe ?
Le roi du Maroc, Mohammed VI, avec sa double autorité politique et spirituelle, pourrait insuffler un modèle et cristalliser cet idéal démocratique tant recherché. Le Maroc, s’il accompagne ses ambitions régionales de réformes politiques profondes allant vers une véritable séparation des pouvoirs et l’émergence de nouvelles élites politiques éclairées, peut montrer la voie. Car le Maghreb, par son identité plurielle et sa diversité linguistique, pourrait offrir une réponse au déclinisme et à la crise civilisationnelle que cette région traverse, à l’image de la crise que traversent les démocraties libérales. Il est tout à fait possible, aussi, d’assumer le patrimoine arabo-berbère, juif et andalou, en le pensant comme un rempart aux dérives tant autoritaires qu’obscurantistes.
Ce même Maghreb a la légitimité et l’influence suffisantes pour porter « le désir de croire » au-delà de ses frontières, comme l’avait fait Ibn Battuta au XVème siècle depuis Tanger, au Moyen-Orient jusque dans le Golfe. La jeunesse à Abu Dhabi ou à Manama mérite mieux qu’un modèle rentier, où le nombre de fonctionnaires dépasse la charge de travail et où les revenus pétroliers peuvent être orientés vers les universités ou des centres de recherche. Il faut tendre la main aux populations des monarchies du Golfe, pour construire avec elles le modèle arabe de demain.
À ce titre, il est intéressant d’observer ce qui se passe à Riyad. Une classe moyenne cultivée et active émerge, des centres de réflexion émettent des « policy papers » pour développer une capacité d’analyse autonome, et les investissements dans l’IA dépassent ceux de plusieurs pays européens. Cet accroissement des connaissances et le développement technologique devraient logiquement mener vers plus de progrès social et des revendications politiques.
Les États arabes n’ont finalement plus d’autre choix que de faire leur aggiornamento culturel et idéologique. Du délitement de la pensée peut naître une renaissance de civilisation.