Analyses

Publié le : 26/09/2025

Comprendre nos années 20

Si vous étiez sur le fuseau horaire européen ou GMT, il fallait arrêter ses réunions, son sport, voire la sortie des écoles : pause obligatoire pour suivre le discours de Trump à l’ONU dans le cadre du débat général de la 80ᵉ session. C’était le 23 septembre. Quelques jours plus tard, on a déjà l’impression que c’était il y a un siècle. L’Histoire s’accélère en ces années 2000, et Trump en est le protagoniste.

On vit une époque à la fois fascinante et déroutante.

Les codes, jusque-là connus en matière de diplomatie, semblent voler en éclats.

Mais est-ce vraiment le cas ? Ou est-ce plutôt le juste retour de « l’état de nature » des relations entre États ?

L’homme a toujours succombé à la sensation de puissance. Cette ivresse, addictive jusqu’à l’effondrement, s’appelle l’hubris. Elle se manifeste à chaque fois qu’une trop grande concentration d’argent et de pouvoir s’installe, trop longtemps.

Au début des années 1990, penseurs et politiques ont salué « la Fin de l’Histoire », affirmant avec aplomb que toutes les grandes questions politiques et économiques du passé avaient été réglées et que le package libéral rénové –  démocratie, droits de l’homme, marchés ouverts à la concurrence, services sociaux et multilatéralisme –  demeurait seul sur l’échiquier.

Il semblait destiné à se propager à travers le monde, à surmonter tous les obstacles et à transformer l’humanité en une seule communauté mondiale libre, de Santiago à Bagdad.

Pourtant, l’Histoire n’a pas pris fin. Après les moments François-Ferdinand, Mussolini et Che Guevara, voici le moment Trump. Cette fois cependant, le narratif libéral n’est pas confronté à un adversaire idéologique cohérent comme l’impérialisme, le fascisme ou le communisme. Le moment Trump est bien plus nihiliste, imprévisible, puissant, et parfois anesthésiant.

Si les grands mouvements du XXᵉ siècle avaient tous une vision de l’espèce humaine dans son ensemble qu’elle soit la domination du monde, la révolution ou la libération, Donald Trump n’offre rien de tel. Au contraire, son message principal est qu’il n’appartient pas à l’Amérique de formuler et de proposer une vision globale aux problèmes du monde. Il le rappelle, non sans franchise, à tous les dirigeants qui veulent bien l’entendre. Et à ses plus proches alliés : les Européens.

De même, les partisans britanniques du Brexit n’avaient guère de projet pour l’avenir du Royaume-Uni : l’avenir de l’Europe et du Royaume-Uni est très loin de leur horizon. La plupart des gens qui ont voté pour Trump et pour le Brexit n’ont pas rejeté le package libéral dans sa totalité : ils ont simplement perdu la foi dans sa part de mondialisation heureuse. Ils ont eu peur.

On peut toutefois observer que, malgré les nombreuses insuffisances du package libéral, son bilan est bien meilleur que celui des offres d’en face. Malgré ses failles, le libéralisme reste la meilleure machine à prospérité jamais inventée. Même si la guerre de Gaza est une hécatombe, jamais les humains n’ont autant vécu en paix, mangé à leur faim, vieilli plutôt que succombé.

Le libéralisme n’a cependant pas de réponse évidente aux plus gros problèmes que nous affrontons : l’effondrement écologique et la disruption technologique, sociale et politique qu’amènent les Big Tech, désormais meilleures amies de l’administration américaine, leur offrant un temps d’avance technologique sans précédent sur l’Europe et le reste du monde, hormis la Chine qui, consciente que le temps des empires est de retour, a pris son destin en main.

Traditionnellement, le libéralisme s’en remettait à la croissance pour résoudre les problèmes économiques et sociaux épineux. Il conciliait prolétariat et bourgeoisie, croyants et athées, indigènes et immigrés, Européens et Africains, en promettant à tous une plus grosse part de gâteau. Celui-ci étant toujours plus gros, c’était possible. On le sait désormais : la croissance économique, telle qu’elle est conçue, ne sauvera pas l’écosystème mondial et ne résorbera pas les fractures sociales. Trump veut être la réponse à tout cela, tout en étant hyper libéral. Étrange paradoxe auquel il faut désormais s’habituer.

Kissinger, tellement décrié en son époque (parfois à raison), le disait déjà : « Comme si c’était une loi naturelle, à chaque siècle, apparaît un pays avec la puissance, la volonté et le dynamisme intellectuel et moral pour donner à l’ensemble du système international une forme conforme à ses propres valeurs. »

C’est notre époque, nos années 2000. À nous désormais de trouver de nouvelles coordonnées pour comprendre et naviguer dans cet interrègne, et d’éviter le pire.

Hamza Hraoui

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