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Publié le : 22/12/2025

Gouverner dans le brouillard

Gouverner a toujours été une épreuve.

Qu’il s’agisse de diriger, d’influencer, de guider ou de garantir le bon fonctionnement des institutions, gouverner renvoie inévitablement à une forme de domination, au sens noble comme au sens risqué du terme. Une épreuve faite de responsabilités, de choix difficiles et de renoncements nécessaires.

Dans les temps anciens, gouverner signifiait être dominé par les dieux, dans les temps modernes, par le poids de la fonction. Cette charge exige sang-froid, équilibre et sens de l’intérêt général. Gouverner, c’est rassembler sans jamais ignorer le risque de diviser. C’est exercer une autorité tout en se retenant, refuser la peur comme l’ivresse du pouvoir, ne pas céder au culte de la personnalité ni à l’illusion de l’omnipotence.

Lorsque cette épreuve est traversée avec justesse, le dirigeant devient un homme ou une femme d’État, un visionnaire. Lorsqu’elle échoue, il ou elle se limite à la gestion du quotidien, ou pire, transgresse les règles et fragilise la confiance.

Chez MGH Partners, nous avons choisi de nous emparer de cette question de la gouvernance à un moment où elle semble plus que jamais mise à l’épreuve. Inspirés par les travaux de Ganassanian, nous faisons le constat que la gouvernance contemporaine traverse une zone de turbulences, accentuée par une transformation profonde du monde, que l’on pourrait résumer autour de quatre dynamiques majeures. 

La première est celle du décentrement du politique : le pouvoir ne se situe plus au cœur du système. L’économique, le social, le culturel et le technologique avancent plus vite que les institutions, souvent dépassées dans leur capacité à tenir le cap.

La deuxième est celle de la démographie : comment gouverner un monde de plus en plus peuplé, fragmenté, traversé par des réflexes de repli, alors même que les crises sanitaires, climatiques, économiques, géopolitiques, appellent des réponses globales ?

La troisième dynamique est celle d’une démocratie en crise. Comment réinventer le lien de confiance et de légitimité entre gouvernants et gouvernés lorsque les outils de la représentation apparaissent vétustes face à des citoyens plus informés, plus exigeants et plus impatients ? La défiance n’est pas une rupture soudaine, mais le symptôme d’un modèle qui peine à se renouveler.

Enfin, la quatrième concerne le profil des dirigeants eux-mêmes. Trop souvent, ils s’entêtent dans une logique de puissance, confondant autorité et domination. Leur aveuglement à percevoir le monde tel qu’il est révèle moins une fatalité qu’un défaut de gouvernance ou un conformisme dans l’art de gouverner. Machiavel, en son temps, nous rappelait déjà l’importance de savoir souffler le chaud et le froid, d’adapter l’exercice du pouvoir au contexte plutôt que de s’y enfermer.

Dans ce nouvel interrègne, gouverner une entreprise en temps de crise rapproche le dirigeant d’un chef d’État. La ligne de crête est la même : produire de la décision dans l’incertitude. Car ce que l’on attend d’un leader, ce n’est pas la certitude, elle n’existe plus, mais la capacité à trancher, à assumer et à donner une direction lisible dans un monde qui change.

Au fond, gouverner une entreprise aujourd’hui, c’est accepter de naviguer dans un environnement où la géopolitique s’invite au cœur des décisions stratégiques, où chaque choix engage bien au-delà du périmètre économique. C’est un art délicat, fait d’équilibre, de clairvoyance et de responsabilité, où le pouvoir ne vaut que par sa capacité à servir un projet collectif.

L’épreuve de gouverner n’est donc pas un fardeau, mais une invitation à dépasser la simple gestion pour renouer avec une gouvernance incarnée, consciente des interdépendances du monde et fidèle à une exigence supérieure : celle de servir. Dans cet interrègne, seuls les dirigeants capables de clairvoyance, d’humilité et de courage sauront transformer la complexité géopolitique en action transformative pour conduire leurs organisations vers un avenir plus serein, là où les repères ne vacillent plus. 

In fine, gouverner, un pays, une entreprise ou une communauté, consiste à accepter la complexité, à naviguer dans l’incertitude et à rester fidèle à une exigence supérieure : celle de servir destin collectif.

Hamza Hraoui

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