Analyses

Publié le : 22/03/2021

Stéphane Fouks : la problématique du partage du pouvoir est cruciale.

Stéphane Fouks, vice-président du groupe Havas a fait grandir toute une génération de communicants. Certains d’entre eux, que l’on appelle désormais les  »Baby fouks », comme un désir de rappeler le lien presque affectif qui lie cet homme avec les anciens consultants de l’agence, ont marqué des organisations françaises et africaines. Longtemps surnommé gourou de la com’, ou encore spin doctor en chef, Stéphane Fouks a conseillé plusieurs dirigeants français, publics et privés, dans leurs problématiques d’image et de crise ou de stratégie de conquête politique. En 2013, il décide d’abandonner la communication politique, puisque cette activité représentait selon lui  »1% du business et 99% des emmerdes  ». Mais c’était mal le connaître, car il aime trop le  »spin » politique pour le lâcher complètement. En off, il continue de conseiller les  »amis » ou ceux qui ont compris que la communication n’est évidemment pas un tout, mais assure l’adhésion des gens. Le Vice-Président d’Havas a également positionné le groupe dans le conseil aux Etats, Congo Brazzaville, Arabie Saoudite … en affirmant que sa vocation est d’aider les réformateurs, un point de convergence avec MGH Partners. Fin 2020, Stéphane Fouks publie  »Pandémie médiatique » un ouvrage qui remet en question les systèmes de gouvernance et le métier du communicant. Une façon de contribuer à cette quête de sens pour se réinventer et vivre un monde d’après, meilleur. Hamza Hraoui, co-fondateur de MGH Partners, ex-Havas, s’est entretenu avec lui pour la Newsroom :

Parlez-nous pour commencer de votre secteur, comment se porte-t-il dans ce contexte de crise inédit ? Alors que tout le monde avait parié sur la dislocation de grands groupes de communication.

Dans un monde qui va mal, notre secteur a plutôt bien résisté, et pour cause : jamais on n’a autant eu besoin de communiquer ! La communication est un premier remède aux maux de l’époque, parce que, dans une période de distantiel et d’angoisse, elle permet de renforcer les liens, d’en tisser de nouveaux, de nourrir la confiance et d’ouvrir des pistes d’avenir. Ensuite, comme le secteur a fait preuve de résilience, la crise va, comme toujours, être un accélérateur des transformations en cours : le passage de la télévision aux réseaux sociaux, l’intégration de la data, les enjeux de l’entertainment qui devient advertainment, tout cela modifie les équilibres et les frontières des groupes de communication. Plus le monde est complexe, et plus le marketing devient difficile, plus on a besoin d’être accompagné par des équipes capables de ne pas perdre le sens dans la mise en œuvre des opérations. Cette accélération des transformations est une opportunité pour notre secteur, surtout pour ceux qui sont capables de s’en saisir pour être leaders – évidemment, Havas est particulièrement bien positionné !

 »Le monde politique en France souffre aujourd’hui un peu des deux maux : une forme de démagogie paternaliste et en même temps une technocratie autocentrée. »

Stéphane Fouks

La crise inédite que nous vivons a profondément remis en cause nos métiers. Comment la communication pourra-t-elle encore créer de la valeur et accompagner la transformation inéluctable des organisations ?

La crise interroge la légitimité de nos métiers, alors que, paradoxalement, elle en renforce l’importance. Un défi de santé publique ne peut être traité avec un logiciel de communication d’hier : le Covid, en communication, ce n’est pas l’épidémie de grippe de Hong-Kong des années 1968-69 ! La pandémie actuelle remet en cause le logiciel de communication de ceux qui nous gouvernent. Ils doivent comprendre que nous sommes passés d’un fonctionnement vertical à un mode horizontal, de la domination à la diversité, de la raison à l’émotion, de la longueur à l’instantanéité, du texte prononcé à l’image virale. Voilà le nouvel univers communicationnel dans lequel ils doivent évoluer.

Stéphane Fouks, dans ses bureaux à Paris. Mars 2021.

Il y a une sorte de consensus aujourd’hui sur le fait que les figures d’autorités doivent être plus transparentes en plus d’être démocratiques. Alors que les systèmes d’autorité politique en place qu’ils soient africains ou européens, sont à la fois peu visibles, peu ouverts, et constituent un terrain de conflits parfois violents, la France, à moins de 330 jours des élections présidentielles, peut-elle encore faire modèle pour donner envie de politique ?

Tout d’abord, je ne suis pas certain que la transparence soit gage de démocratie ! Ce qui fonde la démocratie, ce qui pourrait améliorer les rapports entre les politiques et l’opinion, – qui sont actuellement d’un niveau de violence inégalé – , c’est le partage du sens : cela n’implique pas de tout dire, mais d’associer l’opinion à la décision, et même à l’esquisse des différents scénarii possibles, avant de délimiter entre quelles décisions trancher. Mais pour cela, il faut l’écouter ! Or, le problème n’est pas que les dirigeants ne prennent pas en compte l’opinion publique, mais qu’ils le fassent mal. Généralement, ils oscillent entre deux postures. Soit ils essaient de la suivre en s’appuyant sur des sondages qui ne reflètent qu’un état de l’opinion à un moment donné, et qui offrent une photographie du passé, alors qu’il faudrait analyser les

La Pandémie médiatique, livre de Stéphane Fouks publié chez PLON.

résultats, les compléter par des sondages qualitatifs et par une réflexion sur le contexte et les voies possibles. Soit ils considèrent que l’opinion a tort, qu’elle méconnait la réalité et les solutions disponibles, et ils choisissent, pour son bien, de l’ignorer, voire de lui mentir ! Ce que je montre dans mon livre Pandémie médiatique, c’est que la crise du Covid a révélé l’inadaptation de la plupart des dirigeants au monde actuel, qui repose sur une communication mondialisée, accélérée, horizontalisée.

 »Les opinions veulent être écoutées, les puissances reconnues. »

Stéphane Fouks

Le monde politique en France souffre aujourd’hui un peu des deux maux : une forme de démagogie paternaliste et en même temps une technocratie autocentrée. Dans les deux cas, l’opinion est méprisée, et la réalité du monde contemporain aussi. Mais il y a aussi une capacité à innover, à prendre en compte de nouveaux publics, par exemple en cherchant à communiquer avec les jeunes, c’est-à-dire en direction des jeunes, mais aussi en les associant à l’action. En ce sens, les dirigeants français commencent à s’ouvrir au modèle de leadership que nous leur proposons avec Havas. Je ne sais pas si j’appellerais cela un « leadership français », car je pense que nous vivons dans un monde globalisé, et que ce modèle emprunte autant au modèle californien de certains GAFA, et à l’idéal républicain de reconnaissance des peuples historiquement porté en Europe, qu’au paradigme des actions locales mis en œuvre dans beaucoup de pays du Sud : un leadership capable d’inspirer et d’entrainer, qui fasse preuve d’empathie, qui cherche à inclure, à comprendre, à susciter l’engagement, tout en s’incarnant dans une figure humaine et forte, qui prend des décisions, qui les assume et qui les incarne.

Le multilatéralisme qui dessinera ‘’le monde d’après’’ sera écologique et numérique ou ne sera pas. Quelles recommandations donneriez-vous aux organisations des deux rives pour qu’elles tirent pleinement profit de ce que l’on pourrait qualifier d’acte III de la mondialisation ?

Je partage pleinement votre diagnostic sur les deux défis du multilatéralisme. Mais j’y ajouterai un troisième, qui conditionne la réponse aux deux autres : le défi des singularités. On le voit partout dans le monde, la problématique d’un partage du pouvoir est cruciale : les opinions veulent être écoutées, les puissances reconnues, bref, le multilatéralisme se nourrit aussi d’une attente de reconnaissance des singularités – qu’il s’agisse des individus ou des organisations. La décision promulguée d’en haut, édictée de loin, fondée sur des principes abstraits, tout cela est fini. Le monde de maintenant – car nous sommes déjà dans ce que vous appelez « le monde d’après »- exige la capacité à tenir ensemble tous les paramètres : l’environnement, la globalisation, la révolution numérique, le bien-être des populations, la réduction des inégalités entre les pays, mais aussi au cœur de la société dans chaque pays…Etre un leader aujourd’hui, cela implique de savoir se mettre à la place de différentes personnes, de comprendre les singularités de l’intérieur avant de décider, et d’agir en prenant en compte les contextes, les différents acteurs, les implications de court et de long termes. Et de le faire en anticipant les formes par lesquelles on communique la décision, car la communication fait désormais aussi partie de la décision, elle recouvre l’ensemble de ces moments de la décision. Mon conseil aux organisations de tous bords : renouvelez votre capacité de communication !

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