Analyses

Publié le : 07/04/2021

Entretien exclusif avec Claudia Blum, Ministre des Affaires Etrangères de Colombie.

Avant hier a eu lieu la signature tant attendue, d’un MoU (mémorandum d’entente) entre le Maroc et la Colombie. Organisée à distance, contexte sanitaire oblige, c’est Claudia Blum, la très politique Ministre des Affaires Etrangères de Colombie qui s’est entretenue avec son homologue marocain Nasser Bourita pour conclure 4 accords : le premier vise à organiser progressivement l’ouverture réciproque des marchés aériens des deux pays et comporte des dispositions relatives aux autorisations d’exploitation des entreprises du secteur, aux redevances et droits de douanes… Le second accord correspond à l’exemption mutuelle de visas de courte durée. Enfin le dernier traite de la lutte concertée contre la drogue et l’échange de données criminelles. La Colombie, allié de poids du Maroc en Amérique Latine, veut se repositionner sur l’Afrique et compte le faire en s’appuyant sur Rabat. Le pôle diplomatie de MGH Partners était en contact depuis des mois avec le cabinet de la ministre, pour explorer tous les sujets de coopération susceptibles de faire redécoller les relations Colombie – Afrique. Pour nous en parler, la cheffe de la diplomatie colombienne a accepté d’accorder un entretien exclusif à la Newsroom, au lendemain de la signature des accords avec le Maroc. (L’entretien a été réalisé en espagnol)

D’abord Madame la Ministre, merci d’avoir accepté notre invitation pour parler à la Newsroom. La Colombie et l’Afrique, cela peut paraître loin, du moins géographiquement. Pourtant les liens sont là, la ville de San Basilio de Palenque par exemple est appelée « l’Afrique de l’Amérique latine ». Ce village fut le premier territoire libre d’Amérique. Pouvez-vous parler brièvement de la diplomatie africaine de Bogotá ?

Avec l’Afrique, nous sommes unis par des liens ancestraux qui font partie de notre culture et de notre identité. En effet, San Basilio de Palenque a été déclaré patrimoine culturel et immatériel de l’humanité pour avoir été le premier peuple libre de l’Amérique coloniale. L’héritage africain est présent dans notre musique, dans les traditions des différentes régions colombiennes, dans la joie, l’attachement à la nature et l’amour de la liberté.

Depuis août 2018, lorsque le président Iván DUQUE a pris ses fonctions, le renforcement de relations bilatérales diversifiées a été inclus comme l’une des priorités, et l’Afrique est l’une des régions avec lesquelles nous avons conforté nos relations diplomatiques, économiques et de coopération.

Je rappelle que nous avons six missions diplomatiques en Afrique, œuvrant pour approfondir les liens d’amitié et de travail conjoint avec les différents pays du continent. Nous le faisons à travers cinq axes principaux : le dialogue politique, le commerce, la coopération, le renforcement du cadre juridique avec des instruments bilatéraux et la culture.

En 2020, nous avons organisé des réunions de consultation politique pour renforcer les programmes bilatéraux avec le Maroc, l’Égypte et le Ghana. En 2021, nous tiendrons des consultations avec l’Algérie et l’Afrique du Sud. Ces dernières années, nous avons progressé dans les négociations en vue de la signature de plusieurs instruments bilatéraux avec le Maroc, l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Gabon, Maurice et le Kenya pour une coopération technique dans des différents domaines. En outre, nous avons réalisé le séminaire virtuelle ANDAKI, dans lequel la biodiversité de la Colombie a été mise en valeur, et l’idée d’une visite au Ghana a surgi afin d’échanger les expériences, les connaissances et les traditions de nos populations.

Sur le plan culturel, ces dernières années, nous avons favorisé la diffusion de la culture colombienne à travers l’enseignement de l’espagnol. Nous avons proposé des cours à des fonctionnaires de pays tels que l’Algérie, le Botswana, l’Égypte, le Gabon, le Ghana, le Kenya, Madagascar, Maurice, le Maroc, la Namibie et l’Afrique du Sud. Par la suite, dès que les conditions de la pandémie le permettront, nous renforcerons les activités présentielles prévues dans le Plan de promotion de la Colombie à l’étranger, ainsi que dans le programme de diplomatie sportive et culturelle.

Signature des accords bilatéraux entre Claudia Blum et son homologue marocain Nasser Bourita.

Dans ces liens particuliers avec le continent, le Maroc apparaît comme un partenaire de choix pour la Colombie. Où en sont aujourd’hui les relations bilatérales entre les deux pays et comment entendez-vous les dynamiser ?

Les relations diplomatiques entre le Royaume du Maroc et la Colombie ont été établies en 1979, et depuis, nous avons maintenu d’excellentes relations bilatérales d’amitié, de respect mutuel et de coopération. Au cours de ces années, plusieurs accords ont été signés pour le développement d’activités dans divers secteurs d’intérêt mutuel, tels que l’éducation, la recherche et le développement, la promotion culturelle et sportive, le commerce et le tourisme, entre autres. J’ai eu d’ailleurs l’occasion comme vous le savez, de le rappeler hier lors de ma téléconférence avec Monsieur Bourita.

 »Le Maroc est un pays très attractif pour les affaires. »

Claudia Blum.

En 2019, dans le cadre du 40e anniversaire des relations diplomatiques, le Président Ivan DUQUE et le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Carlos Holmes TRUJILLO, ont pris la décision d’élever le statut de la représentation diplomatique à Rabat au rang d’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire.

Le 13 février 2020, nous avons relancé le dialogue politique avec les IIIe Consultations politiques bilatérales. Nous avons ensuite entamé la négociation de plusieurs accords que nous avons finalement signés le 6 avril 2021, concernant l’exemption de visa pour les passeports ordinaires, la coopération au développement, les services aériens et la lutte contre le problème mondial de la drogue.

De même, dans le cadre de l’Accord de coopération technique et scientifique de 1992 et de l’Accord culturel de 1991, nous avons tenu la deuxième réunion de la Commission mixte de coopération technique, scientifique et culturelle le 14 février 2020, où a été signé le Programme de coopération et de culture 2020-2022. Le programme comprend sept projets dans les secteurs du tourisme, de l’artisanat, de l’agriculture, de la sécurité sanitaire, des archives, des sports et de la sécurité, qui visent à contribuer à la réalisation des Objectifs de développement durable.

 »Nous comptons aussi concrétiser une visite en Colombie de Sa Majesté Mohammed VI »

Claudia Blum

Porte d’entrée du continent africain avec un marché de plus de 36 millions d’habitants, le Maroc est un pays très attractif pour les affaires. Les exportateurs colombiens sont intéressés par le marché marocain et par l’exploration de nouvelles opportunités de commerce bilatéral. Nous espérons que les deux pays pourront promouvoir les échanges économiques en nous appuyant sur les opportunités qu’ils offrent, et qui sont d’autant plus précieuses dans le contexte de la relance post-pandémie.

Nous espérons également continuer à renforcer les relations entre la Colombie et le Maroc grâce à un vaste programme bilatéral. Au cours des trois dernières années, trois visites officielles de haut niveau ont été effectuées à Rabat. Nous comptons aussi concrétiser une visite en Colombie de Sa Majesté Mohammed VI et de son Ministre des Affaires étrangères, Monsieur Nasser Bourita, dès que la situation sanitaire le permettra.

La crise de la COVID a rebattu les cartes du jeu multilatéral. Les États se sont rappelés qu’une pandémie ne peut être endiguée par la seule volonté d’un pays. Comment la Colombie peut initier un mouvement entre le continent américain et africain pour un nouveau partenariat économique et institutionnel ? Cela doit- il passer par les mécanismes existants comme l’UA et la CELAC ?

La Colombie défend le multilatéralisme et, en tant que membre des Nations unies et du Conseil exécutif de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), nous pensons qu’il s’agit de scénarios dans lesquels les États doivent promouvoir un accès universel et équitable pour tous les pays aux technologies permettant de faire face à cette pandémie. De même, il est important pour la Colombie de continuer à travailler avec tous les pays et toutes les régions dans le but de renforcer la solidarité et la coopération pour protéger la santé des personnes, et c’est pourquoi nous participons activement à l’initiative COVAX.

Dans le contexte de la relance post-pandémie, les échanges économiques dans le domaine du commerce et les investissements créateurs d’emplois sont de la plus haute importance. En ce qui concerne la possibilité de promouvoir le travail entre les Amériques et l’Afrique, nous avons salué l’intérêt de certains pays africains pour une collaboration avec l’Alliance du Pacifique. D’ailleurs le Maroc a été accepté en tant que membre observateur en 2014 et le Ghana a récemment exprimé son intérêt pour acquérir le même statut.

En outre, nous pensons que l’agenda environnemental mondial et la lutte contre le changement climatique doivent aussi rassembler les pays pour construire une relance durable et résiliente.

Récemment le Maroc a signé un accord bilatéral avec les États-Unis, qui reconnaît la souveraineté du Maroc sur son Sahara. S’agissant de deux alliés de la Colombie, comment jugez-vous cette décision américaine et pensez-vous que la Colombie peut adopter la même position de Washington sur le Sahara Occidental ?

Alors en ce qui concerne cette question, la Colombie soutient le processus de négociations sous les auspices du Secrétaire général des Nations unies et de son Envoyé spécial, ainsi que tous les efforts de la communauté internationale pour parvenir à une solution, dans le cadre des résolutions adoptées par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies.

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