Analyses

Publié le : 14/12/2021

Amadou Coulibaly : La Côte d’Ivoire est attachée au multilatéralisme.

Ancien professeur et fidèle du RHDP, Amadou Coulibaly a occupé différents postes aux côtés d’Alassane Ouattara. Il a notamment été directeur des Services Extérieurs de la Présidence de la République de Côte d’Ivoire. En avril 2021, Amadou Coulibaly est nommé Ministre de la Communication, des Médias et de la Francophonie et Porte-parole du gouvernement. Egalement, député de la circonscription de Korhogo, Amadou Coulibaly est un homme de terrain, confronté à différentes problématiques qui se posent dans les régions frontalières du Nord de la Côte d’Ivoire. 

Dans un contexte de montée en puissance des tensions dans la sous-région, la Côte d’Ivoire doit en effet répondre à un certain nombre d’enjeux qu’ils soient économiques, politiques ou sécuritaires. 

Pour nous en parler, Amadou Coulibaly, a accepté de répondre aux questions de la Newsroom.

L’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) représente 88 états, pesant 16% du PIB mondial avec un taux de croissance moyen de 7%. En tant que ministre de la Francophonie, quels engagements et projets portez-vous pour développer une francophonie économique dont le potentiel est encore sous-exploité ? 

Vous avez raison d’indiquer que le potentiel de la francophonie économique est encore sous-exploité. C’est partant de ce constat que, lors du XVe Sommet de la Francophonie, tenu à Dakar (Sénégal), les 29 et 30 novembre 2014, les Chefs d’État et de gouvernement ayant le français en partage ont adopté, pour la première fois, une Stratégie économique pour la Francophonie (SEF). Il s’agissait d’un tournant décisif dans la mesure où les États membres ont décidé de faire de la coopération économique un axe majeur des relations qu’ils entretiennent au sein de la Francophonie.  Les initiatives visant à renforcer la francophonie économique ne manquent plus.

A ce sujet, j’ai eu beaucoup de plaisir à accompagner le Premier ministre ivoirien, Monsieur Patrick ACHI à la rencontre des entrepreneurs francophones, fin août 2021, à Paris. Cela montre, d’une part, l’adhésion pleine et entière de la Côte d’Ivoire à la stratégie économique de l’espace francophone, et d’autre part, la prise de conscience de plus en plus réelle de la nécessité de bâtir et dynamiser le volet économique et commerciale de la coopération entre les 88 Etats membres de la Francophonie. L’espace francophone, il faut le souligner, est un grand marché de 300 millions d’habitants. Nous avons un lien fort pour y parvenir, à savoir, le partage de la langue française mais également des procédures administratives, judiciaires, etc. Toutes choses qui invitent les membres de la Francophonie à se rapprocher économiquement, à renforcer leur collaboration. Notre pays s’est engagé à contribuer au développement de la francophonie d’affaires. C’est pourquoi le Premier ministre Patrick ACHI a invité, en août dernier à Paris, les entreprises francophones à tenir à Abidjan, la prochaine Rencontre des Entreprises Francophones (REF). Nous devons multiplier de telles initiatives pour renforcer l’espace francophone dans les années à venir.

Patrick Achi, Premier ministre, lors des Rencontres des Entreprises Francophones ; août 2021.

Le programme « Une Côte d’Ivoire Solidaire » d’Alassane Ouattara sur la période 2021-2025 entend accélérer la transformation économique et sociale du pays. Quelles sont les grandes priorités que vous souhaitez donner ? 

Il faut savoir que ce programme s’inscrit dans le cadre du plan national de développement (PND 2021-2025). Ce plan a plusieurs axes stratégiques, à savoir l’amélioration de la gouvernance, la transformation industrielle, la poursuite des investissements structurants, le renforcement des outils de production et la consolidation de la croissance.

Le programme « Une Côte d’Ivoire solidaire » a pour but de partager équitablement le fruit de la croissance de sorte à améliorer les conditions de vie des populations. L’Etat a la responsabilité d’investir dans des infrastructures sociales de base qui peuvent profiter à toute la population. En parallèle, nous menons de nombreuses actions ciblées par secteur qui touchent certaines populations. 

Les femmes et les jeunes sont au cœur des priorités gouvernementales. Cela se traduit par la mise en place d’un programme au bénéfice des jeunes à travers l’Agence Emploi Jeunes. Et ce, en vue d’apporter une réponse adéquate au chômage des jeunes diplômés. Ce programme donne déjà des résultats encourageants. Un de nos problèmes majeurs concerne les jeunes qui ne trouvent pas de stage pour valider leur diplômé. Pour y remédier, l’Etat a lancé un programme d’aide à l’embauche qui implique des entreprises. Celles-ci se sont engagées à offrir des stages rémunérés aux jeunes. Selon le mécanisme convenu, une partie de la prime de rémunération est prise en charge par l’Etat et l’autre est à la charge de l’entreprise qui bénéficie de la part de l’Etat d’un accompagnement en termes de réduction des charges sociales pour encourager toute entreprise qui y participe.  L’expérience a démontré que 75 à 80% des jeunes ayant bénéficié de ce programme ont été embauchés dans l’entreprise où ils ont effectué leur stage. C’est l’un des formidables moyens pour résorber le chômage dans les années à venir. La croissance économique qui se veut résiliante depuis 2012 et que nous projetons à 7,5% environ en 2021, permettra d’intensifier le partage judicieux des fruits qui en résultent à l’ensemble des populations. 

Pour rappel, la croissance économique positive enregistre depuis 2012, une moyenne de 8% jusqu’en 2018 avant de décliner à 2% à cause de la Covid-19 a permis de financer un vaste programme d’électrification nationale. Nous avons atteint, aujourd’hui, un taux d’électrification de 80% des villages ivoiriens de plus de 500 habitants, grâce au programme Electricité pour tous. Dans la région du Hambol, au centre du pays, on a quasiment atteint 100% de taux d’électrification. Il y a vraiment une volonté de partager les fruits de la croissance à travers des investissements dans les infrastructures socioéconomiques de base. 

Nous avons aussi le programme Eau pour tous, qui est en cours et qui vise à doter certaines localités en château d’eau ou pour les villages plus petits, de pompes à motricité urbaine. Le Gouvernement met l’accent sur la construction des collèges de proximité en vue de renforcer l’accessibilité d’un grand nombre d’enfants à l’éducation qui est également au cœur de la politique de gouvernance du Président de la République, SEM. Alassane OUATTARA. Au-delà de ce qui précède, de nombreux projets structurants dont l’extension des ports et aéroports, le développement des infrastructures routières, sont en cours d’exécution.

L’Afrique de l’Ouest a récemment été marquée par deux coups d’Etat en Guinée et au Mali. La situation politique de la région semble de plus en plus instable. Face à cette situation, quelle est la position de la Côte d’Ivoire et quel peut-être son rôle au sein de la CEDEAO ? 

Vous savez qu’au niveau diplomatique, la Côte d’Ivoire s’est inscrite dans le multilatéralisme. Nous ne prenons pas de décisions qui ne s’adossent à celles de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Sur les questions que vous évoquez, la CEDEAO a une doctrine qui est très claire : le respect de l’ordre constitutionnel, et lorsque celui-ci est brisé, c’est le retour rapide à l’ordre constitutionnel qui est exigé. La Côte d’Ivoire s’inscrit donc pleinement dans les résolutions de notre organisation sous-régionale. Autrement dit, nous partageons la position de la CEDEAO, car notre pays participe activement à tous les sommets de l’organisation et y fait entendre sa voix.  

En résumé, la Côte d’Ivoire s’aligne sur les décisions qui sortent de ces réunions liées à la gestion des différentes crises qui touchent certains pays membres de la CEDEAO. C’est un devoir pour la Côte d’Ivoire, en tant que pays membre de la Communauté. C’est également un impératif quand on sait que ces crises touchent des pays avec lesquels nous avons des frontières communes. 

Alors que les attaques terroristes se multiplient à la frontière Nord depuis l’attaque de Kafolo en juin 2020, comment le gouvernement prévoit de lutter contre l’expansion de la menace terroriste vers le Sud ? La diminution des effectifs armés français dans le Sahel représente-t-elle une porte ouverte à la prolifération des groupes armés terroristes en Côte d’Ivoire ? 

Il fallait bien qu’un jour ou l’autre, nos pays prennent leurs responsabilités et que nous assurions la sécurité et la défense de notre espace. Nous déplorons la situation actuelle marquée par la réduction des effectifs des forces françaises dont nous connaissons l’efficacité dans la lutte contre le terrorisme. Elles sont parvenues à contenir l’avancée des terroristes. 

Comme beaucoup de pays confrontés à cette menace terroriste, nous apportons, au niveau de la Côte d’Ivoire, une réponse militaire avec la sécurisation de nos frontières nord. Nous avons mené, dans ce cadre, plusieurs opérations qui ont permis, non pas une militarisation de cette zone, mais le renforcement de la présence de nos forces de défense et de sécurité. Nous ne nous limitons pas à la réponse militaire. De gros efforts d’investissement sont, en outre, faits dans ces zones pour assurer une présence accrue de l’Etat. Ces initiatives publiques portent sur des investissements structurants comme les routes, l’eau, l’électrification, processus par lequel se fait la redistribution de la richesse. 

Mamadou Touré, ministre de la Promotion de l’Emploi Jeune, à Kafolo ; novembre 2021.

Récemment, le ministre de la Promotion de l’Emploi Jeune était en tournée dans les quatre régions frontalières du nord de la Côte d’Ivoire, notamment dans les régions du Tchologo, du Bounkani, de la Bagoué, et du Poro pour apporter des financements aux jeunes en vue de l’entreprenariat. Le but est de faire en sorte que les jeunes de cette partie septentrionale du pays ne soient pas tentés par des aventures sans issues, tirés par l’appât de gains faciles qui les conduiraient, hélas, dans un engrenage. Il est prévu à cet effet une enveloppe globale de 7 milliards FCFA que l’Etat entend mettre à disposition pour les deux ans à venir, dont 2 milliards seront déjà disponibles avant fin 2021. Les jeunes sont, en conséquence, invités à soumettre leurs projets pour financement. 

« L’Etat a une grande responsabilité. Il doit créer une résilience chez les populations. »

Amadou Coulibaly

En définitive, le pays joue sur deux leviers : un levier sécuritaire, avec une présence renforcée des forces de l’ordre qui rassure les populations, et un levier socio-économique en vue de réaliser des investissements sociaux de base et de promouvoir des activités génératrices de revenus. 

Dans ce nouvel environnement, l’Etat a une grande responsabilité. Il doit créer une résilience chez les populations par sa présence et apporter des solutions concrètes à leurs besoins en eau, en électricité, en routes et toutes autres infrastructures qui contribuent à leur désenclavement. Nous espérons que les populations comprendront leur intérêt de rester dans une République qui les soigne et qui les protège, d’appartenir à un Etat, à une nation. Si l’Etat ne fait rien pour elles, le sentiment d’appartenance ne sera pas assez fort et certains habitants seront livrés à eux-mêmes et se laisseront séduire par des groupes dangereux. Le sentiment d’appartenir à une nation doit donc prendre le dessus. 


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