Analyses

Publié le : 10/06/2021

Alain Le Roy : la bonne gouvernance est au coeur de la déclaration du 18 mai.

Diplomate de carrière, fin connaisseur des circuits de financement multilatéraux, Alain Le Roy est l’architecte du dernier sommet tenu à Paris le 18 mai dernier, sur les économies africaines. Plusieurs chefs d’Etats africains ont fait le déplacement pour soutenir un nouveau consensus sur la dette, aux côtés d’Emmanuel Macron. Le sommet avait l’ambition de créer un électrochoc économique et de gouvernance pour booster les économies africaines durement touchées par la crise sanitaire. A la sortie, ce  »new deal » se matérialisait par le déblocage de 100 milliards de dollars de DTS (Droits de tirage spéciaux). Quelques jours nous séparent de cette première séquence multilatérale dédiée à l’Afrique post Covid, et pour en parler, Alain Le Roy a accepté l’invitation de la Newsroom pour un entretien exclusif. Après avoir été Secrétaire général adjoint de l’ONU, chargé des opérations de maintien de la paix, Secrétaire général du service européen pour l’action extérieure et Ambassadeur de France en Italie et à Madagascar, Alain Le Roy est maintenant envoyé spécial du Président de la République pour l’initiative Afrique en réponse au Covid.

French President Emmanuel Macron holds a joint news conference with International Monetary Fund (IMF) Managing Director Kristalina Georgieva, Senegal’s President Macky Sall and African Union President and President of Congo Democratic Republic Felix Tshisekedi at the end of the Summit on the Financing of African Economies in Paris, France May 18, 2021. Ludovic Marin/Pool via REUTERS

D’abord Monsieur Le Roy, racontez-nous les prémices de ce Sommet. A quel moment a-t-il été décidé par le Président et comment avez-vous pu mobiliser tous les acteurs, notamment de l’Union Africaine, présents autour d’une question aussi brûlante que la dette souveraine des États africains ?

Dès le printemps 2020, et devant les premiers impacts du Covid sur les économies africaines, le Président Macron s’est prononcé en faveur d’une annulation des dettes des pays africains les plus touchés. Il a ensuite été à l’origine de la Tribune de 18 chefs d’Etat africains et européens, publiée le 15 avril 2020 dans Jeune Afrique et le Financial Times, et destinée à accroître la mobilisation de la communauté internationale en faveur de l’Afrique. Le moratoire sur les dettes a été décidé le même jour dans le cadre du G20. Puis devant l’amplification de la crise, en juillet 2020, le Président Macron a décidé de préparer un Sommet sur le financement des économies africaines qui traiterait des dettes, mais aussi plus largement du sous-financement des économies africaines.

Au même moment, le Président Ramaphosa, président en exercice de l’Union africaine, a décidé de nommer des envoyés spéciaux chargés également de contribuer à la mobilisation internationale en faveur de l’Afrique. La jonction de nos efforts et de ceux de ces envoyés spéciaux de l’Union africaine, Ngozi Okonjo-Iweala, Tidjane Thiam, Donald Kaberuka, Trevor Manuel et Abderrahmane Benkhalfa, s’est ainsi faite de façon très naturelle.

Ce travail avec les représentants de l’Union africaine a contribué à ce que la quasi-totalité des chefs d’Etat africains invités soient présents à Paris pour le sommet, malgré la difficulté de la période.

 »33 Md$ parviendront aux pays africains en septembre pour aider leurs balances des paiements »

Alain Le Roy

A l’issue de ce sommet, une série de mesures a été annoncée. Parmi celles-ci, le recours aux Droits de tirage spéciaux (DTS), à hauteur de 100 milliards de dollars. Nous le savons, les DTS sont un outil du Fonds monétaires international (FMI). Leur émission nécessite donc un accord de ses membres. Comment selon vous, les signataires du 18 mai arriveront-ils à l’obtenir, notamment auprès de Washington et de Pékin, et à quelle échéance ?

L’accord politique pour cette nouvelle allocation de DTS est désormais obtenu, avec l’accord de tous les principaux actionnaires du FMI, y compris les Etats-Unis, les pays européens et la Chine. La décision formelle, qui ne fait plus guère de doute, sera prise d’ici fin juin par le Conseil d’administration du FMI. Cette allocation sera la plus importante de l’histoire puisqu’elle s’élèvera à 650 Md$, alors que la dernière allocation, celle de 2009 n’était que de 250 Md$. Cela se traduira par 33 Md$ qui parviendront aux pays africains en septembre pour aider leurs balances des paiements. Et le Président Macron a précisé que nous travaillons à ce qu’au total, au moins 100 Md$ de DTS arrivent en Afrique dans les prochains mois, avec l’accord des pays avancés pour prêter une part de leurs propres DTS aux pays africains.

Le Soudan a presque volé la vedette de cette séquences multilatérale. En effet, à la veille du sommet du 18 mai, une conférence internationale sur le Soudan était organisée par Paris, dans laquelle Emmanuel Macron a annoncé la suppression de la créance française de 5 milliards de dollars. Pourquoi avoir choisi ce moment et est-ce que les autres puissances européennes, comme l’Allemagne, vont-elles s’arrimer à cette initiative multilatérale en supprimant la dette soudanaise ?

Le choix a été rapidement fait de tenir les deux conférences dos à dos, les 17 et 18 mai, car de nombreux acteurs étaient les mêmes dans les deux conférences, FMI, Banque mondiale, Commission européenne, plusieurs pays africains et européens. Nous n’allions pas faire venir deux fois à Paris ces interlocuteurs à des dates éloignées. Les pays européens concernés l’ont bien compris et ils participent également à l’allègement de la dette soudanaise.

Enfin Monsieur le Roy, la question endogène la plus récurrente, est celle de la gouvernance et de la transparence qui concerne tous les pays d’Afrique subsaharienne. Sans bonne gouvernance, il est difficile de créer les conditions d’un environnement économique attractif pour les capitaux étrangers privés. Et c’est là où le bât blesse : l’aide budgétaire internationale, aussi massive soit-elle, ne pourra pas compenser le manque d’investissements privés sur le long terme. Sans une gouvernance efficace, les projets n’avancent pas. Les blocages dans l’administration africaine et les carences institutionnelles des États mériteraient un sommet à part. Comment donc s’assurer que les financements annoncés le 18 mai seront dédiés à des projets concrets de développement et bénéficieront à des populations dangereusement fragilisées par la crise sanitaire ?  

Il y a plusieurs aspects dans votre question.
La déclaration finale du sommet, qui a été adoptée à l’unanimité de  tous les pays participants au sommet (près de trente chefs d’Etat et de Gouvernement), précise bien les deux volets de ce qui a été décidé : d’une part une aide rapide massive à travers notamment les DTS (allocation directe aux pays africains et réallocation aux pays africains d’une part significative des DTS des pays avancés), la reconstitution des ressources de l’AID et les allègements de dette. Et d’autre part un fort soutien au financement du secteur privé africain, notamment en renforçant sa capacité d’accès aux flux financiers privés internationaux.

Ce soutien sera la contrepartie d’efforts et de réformes à réaliser par les pays africains notamment en matière de gouvernance financière et de lutte contre la corruption, afin d’améliorer leur attractivité vis à vis des investissements et des flux privés internationaux. La déclaration adoptée au sommet est très claire sur ce point. Quant aux allègements de dettes, ils se produiront majoritairement dans le cadre de programmes FMI, par lesquels celui-ci pourra vérifier la bonne utilisation des fonds générés.

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