Analyses

Publié le : 26/12/2020

Mankeur Ndiaye : Le show of force français était dissuasif.

À la veille d’un scrutin à forts enjeux en Centrafrique, le chef de la MINUSCA Mankeur Ndiaye, se confie en exclusivité à la Newsroom de MGH Partners sur les récents événements qui ont bousculé le pays à un moment crucial de sa pacification.

Monsieur Ndiaye, les récentes tensions avec les groupes armés ont montré que la pacification de la Centrafrique est loin d’être achevée. Comment la MINUSCA compte riposter concrètement contre ces tentatives de déstabilisation au nord comme au sud du pays ?

D’abord j’aimerai remercier les équipes de MGH Partners qui suivent de près la vie politique centrafricaine. Comme vous le savez, il y a un Plan Intégré de sécurisation des Élections, signé entre le Gouvernement centrafricain, l’Autorité nationale des élections (ANE) et la MINUSCA qui inclut la Force et la Police de la MINUSCA ainsi que les FACA (Forces armées Centrafricaines et les FSI (Forces de sécurité Intérieures). Ce plan est mis en œuvre, sous la coordination du Ministre de la Défense, depuis plusieurs mois déjà et a pour objectif d’assurer une sécurité pleine et entière du processus électoral sur l’ensemble du territoire. Les attaques se sont concentrées jusque-là dans l’Ouest et le centre du pays, mais toutes les attaques ont été repoussées et aucune ville n’est occupée par des groupes armés. Cela veut dire que le dispositif de défense robuste mis en place, fonctionne bien. Nous avons perdu trois casques bleus le 25 décembre à Dékoa après de multiples offensives sans succès par des éléments rebelles de la coalition sous l’autorité politique de François Bozizé et la coordination de ses alliés du MPC, des anti-balaka et du 3R. Nous dénonçons d’ailleurs cette alliance entre des acteurs/partis politiques et groupes armés, responsables de l’instabilité actuelle dans l’ouest de la RCA.

Je dis ici avec la plus grande fermeté que la MINUSCA ne ménagera aucun effort pour que les auteurs, les commanditaires et les complices de tout bord des attaques délibérées, concertées et coordonnées dirigées contre la MINUSCA et les forces de défense et de sécurité centrafricaines, et destinées à perturber les élections du 27 décembre 2020, répondront de leurs actes devant les juridictions compétentes.

« Le « show of force » français a eu un impact psychologique significatif« 

Mankeur Ndiaye.

Récemment, Paris a ordonné le survol de la capitale centrafricaine, par deux Mirages juste après un entretien entre Emmanuel MACRON et le Président Centrafricain sortant, Faustin-Archange TOUADÉRA. Est-ce que cette affirmation de puissance peut être dissuasive dans le contexte actuel ?

À la demande du Président TOUADÉRA, et en accord avec la MINUSCA, le Président français, M. Emmanuel MACRON a ordonné la réalisation d’une mission de survol du territoire centrafricain par des avions de chasse. Cette mission s’est déroulée le mercredi 23 décembre même et cette action marque la condamnation par la France des tentatives de déstabilisation du pays. Ce « show of force » a eu un impact psychologique significatif

Des soldats de la Minusca patrouillent à Bangui, le 22 décembre 2020. ALEXIS HUGUET / AFP

Des élections cruciales auront lieu demain dans toute la Centrafrique. Ces élections législatives et présidentielles sont au cœur de la discorde nationale. Pourquoi la communauté internationale engagée en Centrafrique, et à sa tête les Nations Unies, veulent à tout prix des élections ?

Je veux d’abord rappeler que la Cour Constitutionnelle, juge des élections et l’Autorité Nationale des Élections ont avec le gouvernement et les représentants du peuple souverain de la RCA pleinement assumé leur responsabilité et exprimé leur décision d’aller aux élections présidentielle et législatives avec un code électoral consensuel et un chronogramme conforme aux exigences légales.

 »Ce n’est pas la communauté internationale qui décide pour la Centrafrique. »

Mankeur Ndiaye

Nous, membres de la communauté internationale avons été sollicités pour soutenir le processus électoral sous la coordination de la MINUSCA qui a été investie d’un mandat du Conseil de Sécurité des Nations Unies que nous nous efforçons de remplir par le dialogue, la concertation, l’usage de nos bons offices politiques et l’appui multidimensionnel apporté à l’Autorité Nationale des Elections qui utilise toutes ses capacités logistiques et opérationnelles.

Ce n’est pas la communauté internationale qui décide pour la Centrafrique détrompez-vous, il y a des textes constitutionnels qui régissent le processus électoral dans le pays et c’est à la Cour constitutionnelle, en tant que juge des élections, de décider. Au regard de la résolution 2552 du Conseil de Sécurité, votée en novembre 2020, notre mandat consiste à apporter un soutien logistique, technique, sécuritaire et nos bons offices pour que ce processus se passe bien. Et c’est ce que nous faisons.

L’ANE, dans son communiqué du 24 décembre, a indiqué que « grâce à l’appui du gouvernement, de la MINUSCA et de la communauté internationale dans son ensemble, elle (l’ANE) pouvait rassurer la population que des mesures préventives étaient prises, afin de permettre au pays d’organiser des élections dans la sérénité, le calme et la paix, le dimanche 27 décembre 2020 pour l’expression du droit de vote de tous les citoyens inscrits sur les listes électorales. La Cour Constitutionnelle vient juste de lui emboiter le pas dans sa décision du 26 décembre qui confirme que les élections présidentielle et législatives doivent se tenir le 27 décembre 2020.

Comment la MINUSCA compte sécuriser le scrutin de demain et protéger les électeurs contre les différents groupes rebelles qui sévissent aux alentours de Bangui ?

Le Plan intégré de sécurisation des élections a fait jusque-là ses preuves en résistant aux assauts répétés des forces négatives qui tentent de perturber le processus électoral. En amont, elle a permis d’enregistrer 1 858 236 électeurs tandis que le matériel électoral nécessaire a été acheminé dans les 16 préfectures. Partout où nous le pouvons, nous allons renforcer nos positions afin de mettre en œuvre avec détermination notre mandat de protection des populations civiles et de sécurisation des élections, d’abord le retrait des cartes d’électeurs et ensuite de se rendre aux urnes. Le Conseil de sécurité a promptement réagi à notre demande de renforts de troupes. Et jeudi dernier trois cents casques bleus du contingent rwandais de la Mission des Nations Unies au Sud Soudan, sont arrivés à Bangui afin de renforcer les capacités de la MINUSCA et répondre aux défis sécuritaires actuels.

Ces renforts permettront à la MINUSCA d’accroître sa contribution à la mise en œuvre du plan intégré de sécurisation des élections, en étroite coordination avec les forces de défense et de sécurité centrafricaines et les forces internationales présentes dans le cadre d’accords bilatéraux avec la République centrafricaine, conformément aux paragraphes 32 ((b) i)) et 52 de la résolution 2552 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Nous savons qu’il y aura des défis, mais nous sommes prêts à les relever.

J’ai personnellement, l’ultime conviction et aussi l’espoir que le peuple centrafricain dans sa diversité, peut encore sortir de ces élections gagnant en respectant le jeu des institutions et l’ordre constitutionnel au profit de l’État de droit et du processus de démocratisation qui doivent renforcer et non fragiliser le processus de paix.

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