Analyses

Publié le : 03/10/2020

Le plus Africain des présidents français

Bien que l’outil diplomatique souffre d’une érosion constante de ses crédits, la diplomatie française connaît depuis trois ans un activisme intéressant. Ses ambitions s’affirment de plus en plus dans une période d’intenses remises en cause des certitudes géostratégiques et de brouillage des lignes tels que le monde en connaît depuis cinquante ans. L’ordre de 1989 étant aujourd’hui bouleversé, un ordre fondé sur l’hyper puissance d’un seul État et le recul des acquis démocratiques, la France devait sanctuariser sa centralité diplomatique. Et l’Afrique, continent qui a tant passionné les relations avec la France est aujourd’hui au cœur de cet aggiornamento diplomatique.

Emmanuel Macron et le président du Ghana, Nana Akufo Addo, le 30 novembre à Accra. LUDOVIC MARIN / AFP

Cette nouvelle doctrine a connu trois actes. D’abord lors de la première et traditionnelle Conférence des Ambassadeurs de 2017. Deux mois après son élection, Emmanuel Macron avait appelé les diplomates français renouvelés dans leurs postes ou venant d’être nommés, de changer radicalement d’approche vis-à-vis du continent. L’Afrique, citée pas moins de 7 fois, a pris une place à part dans son discours : coopération économique, audace, pragmatisme, il a appelé de ses vœux la création d’un axe intégré entre l’Afrique, la Méditerranée et l’Europe.

A la même année, le deuxième acte se traduisait par la création du Conseil Présidentiel pour l’Afrique. Organe inédit dans la 5ème république, directement rattaché à l’Élysée, le CPA veut être cette courroie de transmission entre le cœur battant du continent, à savoir sa société civile, et Emmanuel Macron.

L’acte 3, sans doute le plus important, s’est manifesté avec le discours fondateur de Ouagadougou. Tout a été pensé pour ouvrir un nouveau chapitre. Le lieu d’abord, qui n’a pas été choisi par hasard : l’université de Ouaga 1. Emmanuel Macron voulait incarner l’audace qui l’a appelée de ses voeux, en se présentant devant une jeunesse politisée, assoiffée de démocratie et de réformes, pour aborder les sujets qui fâchent. Au cœur du pays des hommes intègres qui a exalté le panafricanisme. Exercice complexe mais qui a donné le ton et a rassuré les partenaires africains.

En matière de déclinaison de la vision, différentes séquences se sont déployées.

Plusieurs déplacements, en Afrique anglophone notamment, comme au Ghana et au Nigéria. Une manière d’insister sur le fait que les vieux schémas coloniaux d’Afrique francophone, anglophone ou lusophone doivent désormais être dépassés, que la francophonie doit être moins défensive et constituer un facteur d’intégration. Augmentation de l’aide publique au développement de 0,11% d’ici 2022, restitution des œuvres d’art pillées pendant la période coloniale, et last but not least, la fin de la tutelle française sur le franc CFA. Quant au Sommet Afrique France 2020, contexte pandémique oblige, il a été annulé.

Ce moment tant attendu par la diaspora, le monde économique et les partenaires africains constituait le versant africain de ces nouveaux formats multilatéraux qui ont marqué le quinquennat.

Si Emmanuel Macron s’efforce de montrer qu’il a une véritable vision pour l’Afrique, qui consiste à ne pas reproduire les erreurs du passé, tout en s’engageant sur un dialogue d’égal à égal, c’est aussi grâce à ses hommes de l’ombre sis 2 rue de l’Élysée. Aux manettes également, son conseiller Afrique, Franck Paris. Ce dernier, connu pour sa discrétion et sa redoutable efficacité au sein de l’appareil diplomatique français, veille au grain. De la crise libyenne au Sahel, en passant par l’impasse politique malienne, Franck Paris est la cheville ouvrière du nouveau narratif franco-africain.

L’année qui arrive apportera son lot de défis qui restent à relever, et devra consolider l’axe économique de la nouvelle relation.

Annoncé aux côtés du chef d’Etat Kenyan, à Paris le 1er octobre dernier, un sommet sur la croissance africaine est censé mettre à l’abri les économies africaines des effets de la crise sanitaire. Plusieurs chefs d’États seront présents au printemps 2021 avec la participation des institutions multilatérales comme la Banque Mondiale.

365 milliards de dollars, c’est la dette que les pays africains devront rembourser à leurs créanciers. Véritable obstacle au développement, ce sommet a aussi pour ambition de trouver une solution à la dette africaine. En pleine crise pandémique, Emmanuel Macron était le 1er chef d’État européen à évoquer un moratoire, voire une annulation de la dette africaine. Sans doute une autre manière d’exalter son tropisme pour le continent.

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